Finally, New
They Hate Change
Ils auront pris le temps. Cinq années parsemées de singles et d'EPs, faisant miroiter à un public quasi inexistant un projet dont la possibilité économique semblait même de plus en plus improbable. Et puis, finally, voilà le disque de They Hate Change qui arrive, sur l'excellent label Jagjaguwar qui plus est. Et si le changement est détesté, ce n’est pas par eux. De leur rencontre à New-York lors d’une quête de weed jusqu’à la formation d’un duo pour mixer à Tampa Bay, They Hate Change est pétri de vadrouilles musicales, géographiques et historiques.
On ne crée pas à partir de rien. Et comme nos maisons neuves ont nécessairement creusé la pierre et le sable ailleurs, nos actualités musicales sont de plus ou moins étonnants patchworks. C’est la première chose qu’on se dit en lançant le disque : « on dirait Outkast ». Certes il y a leurs voix aiguës et leurs flows libérés, mais surtout une pratique de composition qui les rapproche de cette grande lignée du rap qui va d’Ishmael Butler à Jpegmafia et d’André 3000 à Mykki Blanco. Pourtant, ni les textes ni les instrus, écoutés dans le détail, ne peuvent confirmer cette impression.
Malgré des convictions fortes, They Hate Change avance ses pions avec une immense timidité dans le paysage du rap contemporain, qui présente la trap comme un espace de liberté et la drill comme une révolution : la conviction que le rap peut être soutenu musicalement par une infinité d’influences, quand bien même on souhaiterait en conserver les fondamentaux rythmiques. Oui, le rap est devenu le genre musical le plus influent du 3e millénaire, sans aucune contestation possible. Et aussi émancipateur puisse-t-il être pour de nombreux groupes sociaux, son industrialisation prescrit quasi automatiquement une dynamique de conformité. On risque de voir perler, dans les rares chroniques de Finally, New, l’idée que They Hate Change fait du rap expérimental. Mais Dre et Vonne ne font ni du rap sans rap, ni du rap qui interroge les limites mêmes du genre. Dre et Vonne font juste du rap, simplement sans se limiter dans leurs influences.
Et pour le coup, Finally, New en est un sacré festival. En zappant sur « Reversible Keys », on croirait de la liquid drum ; on passe sur « Who Next? », et on sent toute leur culture dub ; vous voulez du classique ? « Little Brother » est un pur produit de la culture 90’s, alors que « X-Ray Spex » peut ressembler à un méchant retour du « B.O.B. » d’Outkast. On y croise du footwork, de la house, du trip-hop, mais surtout beaucoup de rap.
Loin de rester sur la plage, They Hate Change surfe sur la houle d’un hip-hop qui pue la classe, avec un flow toujours renouvelé et des textes comme celui de « Some Days I Hate My Voice ». Depuis 2019 et un Clearwater déjà très qualitatif, on milite activement pour que ce groupe ait un chouia plus de couette dans le grand lit de la médiatisation. Avec Finally, New, on est musicalement plusieurs niveaux au-dessus, les visuels défoncent, bref : il ne manque que le public. Alors si ça ne marche jamais, on restera quelques dizaines de milliers à profiter pleinement de leurs disques, jusqu’à ce que, inévitablement, une version robotique de Light In The Attic en fasse la réédition en 2080.