Final Song #1
Various Artists
Je ne sais pas pour vous, mais chez moi c'est une question qui s'est déjà posée à plusieurs reprises entre amis, dans la fatigue des fins de soirées. Alors, quelle chanson on choisirait pour notre enterrement ? J'ai entendu toutes sortes de réponses, des plus graves aux plus légères. Aux antipodes : Arvo Pärt et le remix techno de Titanic. À la grande époque des chaînes de mail, ça revenait aussi régulièrement dans des questionnaires à n'en plus finir, sans jamais savoir trop comment prendre le problème, burlesque ou sérieux d'église. C'est-à-dire qu'on touche là un point plutôt sensible, avec à l'intérieur deux nouvelles interrogations qui émergent : quel morceau nous représente le mieux et quelle trace veut-on laisser ? Vu la tournure existentielle que cela prend, pas étonnant qu'on ait envie de répondre Benny Hill.
C'est pourtant précisément cette question qu'a posé le label Get Physical au gotha du monde de l'électronique. La structure berlinoise des deux M.A.N.D.Y. pouvait se le permettre : c'est un des labels les plus reconnus et influents aujourd'hui, avec entre autres, dans leurs filets, Booka Shade, Lopazz, Tiger Stripes ou Château Flight. Mais toujours est-il qu'il doit rester gênant de demander une réflexion de cet ordre. D'autant plus qu'en regardant les noms listés sur la pochette, ils ne sont pas gênés pour contacter les plus grands : Gilles Peterson, Laurent Garnier, Coldcut, Kevin Saunderson (pionnier historique de la house avec Inner City), Ricardo Villalobos et bien d'autres.
Maintenant, regardons de plus près quels morceaux ont été sélectionnés pour ces funérailles de luxe. On peut déjà vous dire que, comme on pouvait s'y attendre, c'est toujours de très bon goût. Et cela brasse surtout dans les musiques non électroniques. On retrouve des classiques inconsolables comme la première "Gymnopédie" d'Erik Satie (choisie par DJ T), "An Ending (Ascent)" de Brian Eno (Coldcut) ou "Golden Brown" des Stranglers (Dj Hell). On entend aussi des morceaux un peu moins mis en avant de formations néanmoins ultra-célèbres : "Sit Down Stand Up" de Radiohead (Laurent Garnier) ou la formidable "'Till I Die" des Beach Boys, piochée par David Holmes dans le trop sous-estimé "Surf's Up" de 1971.
Certains se sont également approprié la question de manière beaucoup plus étonnante. Comme Kevin Saunderson, qui verrait bien sa famille en larmes sur le disco tordu de Cerrone. Ou Villalobos qui, puisant au fond de ses racines, a choisi l'ensemble folklorique Inti Illimani de son Chili natal. Ou bien enfin le technoïde Ewan Pearson, à qui je décerne la palme de la meilleure sélection pour "Is That All There Is ?" de Peggy Lee, bouleversante chanteuse jazz de l'après-guerre. Moins surprenant mais très anachronique si l'on s'imagine la scène, les choix de Richie Hawtin et Storm pour des vieilleries électro composées par Photek et Link. Juste un coup de gueule en passant : Chloe, qui a le culot de se sélectionner elle-même. Son excellent premier album ne doit pas l'immuniser : la Parisienne fait en général preuve d'une suffisance assez détestable, et cette façon de crier au monde entier son nombrilisme est très irritante. C'est frustrant et agaçant, surtout, donc, que des artistes autrement plus doués et installés qu'elle ont, eux, joué le jeu avec beaucoup de modestie.
De tout ce que j'ai dit on pourrait en conclure : « courez acheter Final Song #1 ». Ce ne sera pas le cas, dans la mesure où l'écoute de cette compilation n'est pas si agréable qu'elle n'en a l'air, la faute à une tracklist aussi décousue qu'une liste aléatoire sur iTunes. Il n'aurait de toute façon pas pu en être autrement sans tordre la consigne et perdre en sincérité. On peut tout de même dire, qu'au moins à titre consultatif, cette compilation est riche d'enseignements. Et qu'elle est tout de même composée, pris un à un, de morceaux essentiels.