Fenice
Ufomammut
A l’écoute du début de « Psychostasia », je me mets à douter. Auraient-ils perdu la main ? Pourtant, Ufomammut, c’est vraiment du lourd. Un trio italien qui sait comment faire valser tout le complexe psycho-somatique depuis près de vingt ans. Heavy, psychédélique, intense, leur musique a tout pour être ce qu’elle est : un grand nom du rock psyché, une légende du stoner-doom. Sauf que Fenice doit être leur quinzième disque, et que personne ne peut rester performant perpétuellement. Alors peuvent-ils faire ce que font les fenice, et perpétuellement renaître ?
Cette réflexion ne sort pas de nulle part, puisque le groupe a traversé une sacrée crise ces derniers mois. En 2020, après vingt ans d’activité, le batteur originel Vita décide de quitter le groupe. Disputes, problèmes de tournée, sortie d’une période infernale, les causes sont nombreuses et comme tous les groupes, le dernier jour vient enfin. Ufomammut aura eu vingt superbes années, et on en restera là. Mais la pause pandémique aidant peut-être à la réflexion, surtout dans une Italie particulièrement touchée à ses débuts, le groupe se reforme un an plus tard avec un nouveau batteur, Levre. Depuis, il travaille à sa renaissance, comme un phénix aidé à la combustion par des cendres particulièrement fraîches, mais des cendres quand même.
Alors ce que j’interprète au départ comme un coup de mou n’est en réalité peut-être qu’un changement dans la structure du groupe. Et de fait, la suite de « Psychostasia » me prouve le contraire. Le calme, puis le démarrage, l’intensité, la sensation d’une chaleur croissante, l’explosion contrôlée et maîtrisée. Différemment, mais toujours aussi qualitativement, Ufomammut rappelle que le trio sait faire du bruit, mais pas n’importe comment. Avec plus de travail sur les guitares, plus de travail sur les synthétiseurs, Ufomammut change de stratégie. Et à l’inverse d’un Ecate qui surfait sur un passage entre du psyché pur et le déversement habituel d’une lave de doom, Fenice fait des ponts plus subtils dans la construction des morceaux.
Chaque morceau est un petit chef-d’oeuvre de construction de l’intensité. Lorsque Urlo parle des premières répétitions avec Levre, il aborde cette timidité que chacun d’entre eux ressentait. Une timidité qui a laissé lentement la place à la possibilité de laisser la musique s’enrager, et qui aujourd’hui encore, sur le disque, se retrouve dans la minutie avec laquelle on peut l'entendre croître. Fenice, c’est l’album de la précision dans le montage des ambiances et des sonorités. Il suffit de regarder la courbe de violence du premier morceau, « DUAT » pour comprendre à quel point le groupe a passé un cap dans son utilisation de l’électronique. De l’ambient à l’indus, de l’indus au kraut, du kraut au metal, Ufomammut déploie sa panoplie avec un savoir-faire qui, au-delà d’être simplement cohérent, fonctionne à merveille. Plus que jamais, on les imagine même sortir un disque avec de longs passages sans guitare ou batterie, comme ce « KHEPERER » qui se glisse dans le titre d’ouverture sans qu’on s’en rendre compte.
Est-ce que Ufomammut sait tout faire parfaitement ? Déjà, il faut arrêter les calembours tout claqués genre « pyramind », parce qu’on n'est pas dans l’acid dance des années 1990. Mais si les passages électroniques sont particulièrement réussis, tout l’aspect folk-rock de certains titres comme « METAMORPHOENIX » rappelle que leur corps de métier est ailleurs. La volonté de changement est louable, et l’architecture du disque fascinante, mais il est clair que le groupe a encore du travail pour parfaire le détail. Mais quand on aime ce qu’on fait, qu’espérer de mieux que de faire souffler un vent brusque sur le brouillard de sa marge de progression après vingt ans de carrière ?