#FDP
Ichon
Difficile de ne pas constater qu'après une période de disette, le HH hexagonal est en train de connaître un nouvel âge d'or. Depuis 2-3 ans, le nombres d'inconnus propulsés en haut de l'affiche du jour au lendemain est hallucinant : Kaaris, Jul, Gradur, Niska, PNL, Sch, MHD... Sans compter les vétérans qui connaissent une seconde carrière (Alonzo, Dosseh), les échappées solo qui se sont transformées en ruée vers l'or (Gims, Black M, Nekfeu) et les marques établies qui continuent de cartonner (Booba, Soprano, Youssoupha). Bref, le rap français va bien, merci pour lui.
L'autre symbole de cette vitalité est l'existence, en parallèle du réseau mainstream, d'un underground bigarré, une scène qu'on qualifiera d'alternative - faute de mieux. Là aussi, on trouve de tout : des hérauts d'un certain rap baroque (Alkpote, Butter Bullets), du white/trash/emo en veux-tu en voilà (DFH DGB, Nusky et Vaati, Moïse The Dude), des héritiers de Time Bomb (Joe Lucazz, Metek) et des prodiges inclassables (Jordee, Hamza). Toutes ces circonvolutions pour en arriver au cas d'Ichon qui, s'il partage des similitudes avec certains membres de ce nouvel indie rap, semble évoluer un peu en marge.
L'explication est sans doute à trouver du côté de l'affiliation d'Ichon au crew Bon Gamin, collectif dont la figure la plus exposée est Myth Syzer. Or, le beatmaker est davantage tourné vers la nouvelle scène electro française (il est signé sur Bromance, pour rappel) et le rap américain que vers l'undieground français. Ichon, pour revenir à lui, fait partie de ces emcees au talent éclatant dont on a du mal à comprendre ce qu'il leur manque pour franchir un palier. Réparons cette injustice, à notre modeste échelle, en revenant en détail sur son dernier projet en date : le bien-nommé #FDP.
Le Montreuillois s'est fait remarquer au fil d'apparitions où il éclaboussait la concurrence avec un style détaché, tout en enchevêtrements de rimes complexes et en références ésotériques. Pourtant, sur #FDP, Ichon a clairement changé son fusil d'épaule. Exit les expérimentations néo-hippie de son premier EP Cyclique. Ici, il se fait le chantre d'une esthétique crasseuse, punk et sanglante, qui n'est pas sans rappeler la frange la plus noire du New-York des années 90.
Et il faut avouer que ce registre lui sied plutôt bien : la majorité des 7 titres que contient l'EP sont des bangers en puissance. "Marche ou crève", par exemple, est un single infectieux où le Bon Gamin dévoile l'étendue de sa palette : refrain chantonné, roulements et diction ultra-fluide. "J'en ai p'têt l'air mais j'ai plus l'temps" prévient-il. Plus loin, sur "#FDP", il rappe sur ce qui ressemble à la bande-son d'un film d'horreur et crache à la face de l'industrie. "J'vous laisse entre fils de putes, faire vos trucs de fils de putes" énonce-t-il tranquillement.
Si ce nouvel EP voit le emcee déployer une énergie et une noirceur communicatives, le lyrisme se fait, lui, plus discret. Il réapparaît, par intermittence, notamment sur le superbe "Dangerous". Sur une instru chancelante, qui semble sans cesse hésiter entre hôtel de luxe et hôtel de passe, le Montreuillois susurre : "Coupe toi les veines sweet babe/Disparais comme tu l'sens/Je sais que le temps nous surveilles/Quand j'prends d'la drogue, j'tue l'temps". Bref, #FDP est un pur moment de rap hardcore et jubilatoire, un produit corrosif à ne pas mettre entre toutes les mains (tout comme les visuels qui l'accompagnent).