Father of the Bride
Vampire Weekend
L’immense popularité de Vampire Weekend a toujours tenu à la capacité du groupe à faire passer pour très simples, voire évidentes, des choses qui ne l’étaient pas forcément – une politique ambitieuse qui atteignait son acmé en 2013 sur Modern Vampires of the City, le troisième album du groupe, et le dernier en tant qu’entité réunissant des individualités autour d’un projet commun. En effet, trois ans plus tard, Rostam Batmanglij quittait le groupe – s’il a brillé en compagnie de Hamilton Leithauser, on se demande qui a écouté son Half-Light en 2017. Et si par le passé la promo de Vampire Weekend communiquait sur le projet en tant que groupe, le départ de Rostam Batmanglij a achevé de faire du groupe l’affaire du seul Ezra Koenig, dont la seule tronche de jeune premier est visible sur le matériel promotionnel de Father of the Bride.
Pourtant, ce qui nous a fait peur dans un premier temps se révèle au fil des écoutes être la meilleure chose qui soit arrivée au groupe depuis son indémodable premier album. Le Vampire Weekend 2.0 voit Ezra Koenig fonctionner désormais par affinités, comme s’il en avait assez de ne penser qu’à la sacrosainte cohérence et à la beauté formelle d’un des projets les plus intéressants de la pop moderne. En choisissant d’être seul à la barre, le New-Yorkais accepte de livrer une bataille difficile : celle qui consiste à se faire plaisir sans passer pour un artiste qui oublie complètement sa fanbase, à travailler avec des artistes qu’il admire sans pour autant leur laisser les clés de la baraque, à ouvrir ses horizons sans complètement bousiller son ADN. Et il suffit de jeter un œil à la liste des invités pour saisir l’ampleur de la tâche : outre Batmanglij avec qui Koenig avait annoncé poursuivre la collaboration de façon épisodique, David "Dave 1" Macklovitch de Chromeo, DJ Dahi (qui a plutôt l’habitude de bosser avec Drake ou Schoolboy Q), le hitmaker Mark Ronson, ILoveMakonen, Haruomi Hosono du légendaire Yellow Magic Orchestra, Danielle Haim (dont la voix illumine trois titres de country-pop dont l'alchimie renvoie aux collaborations entre Bright Eyes et Emmylou Harris sur I'm Wide Awake, It's Morning), Steve Lacy de The Internet ou Hans fucking Zimmer ont tous à un moment donné contribué à l’élaboration de ce quatrième album de Vampire Weekend et y laissent tous leur empreinte discrète, mais essentielle.
Du coup, on comprend peut-être mieux pourquoi Ezra Koenig aura mis trois longues années pour mettre Father of the Bride en boîte. Et les écoutes répétées d’un disque qui les mérite amplement nous confortent dans l’idée que sa patience et sa méticulosité auront eu raison de nos doutes et idées préconçues. Car si la première écoute du double-album désarçonne, ça tient moins au caractère prétendument fourre-tout du disque qu'à la capacité de Ezra Koenig à réinitialiser notre logiciel de fan qui attend un nouvel album ressemblant aux trois précédents. Non content de ressembler à la plus cool plaine de jeux de 2019, Father of the Bride est un disque fascinant à tous les niveaux, qui évite soigneusement de jouer le jeu de son époque en enchaînant les singles pour la playlist Indie Rock Road Trip de Spotify (oui, elle existe), qui fracasse bien des certitudes. Nichant certains de ses plus beaux moments dans les arrangements les plus inattendus, Ezra Koenig éclabousse ce double album de sa sensibilité et de son intelligence de jeu, et nous confirme au passage qu’il appartient bien au club très fermé des plus grands songwriters de son époque.