FAR
Regina Spektor
Regina Spektor n'est pas du tout connue de ce côté de l'Atlantique et c'est à n'y rien comprendre. Jolie comme un coeur et oeuvrant dans le même registre que la cultissime Fiona Apple, la Russo-Américaine jouit d'une solide réputation aux Etats-Unis depuis sa collaboration avec les Strokes et, surtout, grâce à Begin to Hope, sorti en 2006, un album au croisement improbable et fantasque des Beatles, de Chopin et de l'inévitable Kate Bush. C'est peu dire, en conséquence, que Miss Spektor mérite bien plus que le vague traitement dont elle bénéficie à l'heure actuelle en Europe. Car, affublée d'une personnalité très affirmée et décalée, pour ne pas dire un peu dingue, elle se démarque grandement de la ribambelle de chanteuses fades égrenant les histoires d'amour à l'eau de rose sans aucune originalité et sans aucun intérêt (Sandrine, Priscilla Ahn, etc.). Au contraire, avec cinq albums à son actif dans lesquels elle n'hésite pas à gentiment choquer (en témoignent "Ode to Divorce" ou "Poor Little Rich Boy" sur Soviet Kitsch, sorti en 2004), l'univers de la demoiselle se révèle suffisamment touffu pour intriguer les plus curieux d'entre vous.
FAR, son dernier opus, se situe dans la ligne de ses précédentes réalisations, tout en étant toutefois peut-être un peu plus accessible que ses prédécesseurs et donc fatalement encore meilleur. Il faut dire que l'album a été produit en partie par Mike Elizondo, déjà à l'oeuvre sur le dernier album de Fiona Apple, l'excellent Extraordinary Machine, sorti en 2006. On ne s'étonnera donc pas que la chanson d'ouverture, "The Calculation", séduise immédiatement avec son alliance piano / voix particulièrement bondissante comme souvent chez Miss Pomme. Déterminée à bien s'entourer, Regina Spektor a également fait appel à la crème des producteurs, de Jeff Lynne (The Beach Boys, George Harrison...) à Jacknife Lee (U2, REM, Editors...) en passant par David Kahne (Paul McCartney, The Strokes...). Bien épaulée, l'ex-Moscovite, New-Yorkaise d'adoption, démontre à nouveau l'étendue de ses talents vocaux et musicaux par cette nouvelle collection de morceaux, entre les véritables petites histoires d'oiseaux sur un fil ("Two Birds") et les charges ironiques anti-cléricales ("Laughing With").
Toujours catchy, les ritournelles pop de la demoiselle jadis critiquée pour une certaine confusion qui l'avait incitée à publier un "Guide de Survie" à l'attention des auditeurs de l'un de ses précédents albums, fait ici preuve d'une plus grande rigueur et d'une plus grande maîtrise des compositions, qui devraient lui permettre d'accéder enfin au statut qui lui revient. En l'absence - remarquée - de Fiona Apple depuis trop longtemps maintenant, Regina Spektor a un boulevard devant elle. A elle de remporter la mise avec une série de concerts qui ne pourront que nous emmener loin, comme le suggère le titre de ce nouvel et enthousiasmant album à la fort jolie pochette.