Fading Frontier
Deerhunter
Le Bradford Cox, il faut l’entendre maugréer "What’s Wrong With Me?" sur le refrain de « Carrion », magnifique ballade en apesanteur qui clôt le septième album studio de Deerhunter. Une complainte qui n’est évidemment pas inhabituelle pour les fans du groupe d’Atlanta, tant cette entité a toujours servi d’exutoire et de thérapie pour la machine à broyer du noir qui leur sert de leader. Mais alors que le précédent album (Monomania) puait déjà la défaite à des kilomètres à la ronde, on se demandait bien à quelle sauce on allait se faire bouffer les entrailles sur Fading Frontier, un disque écrit et enregistré dans une période consécutive à l’accident de voiture dont a été victime Cox en 2014 et qui lui a sérieusement sapé un moral qui n’était déjà pas au firmament.
Et bien à la surprise générale, cette nouvelle livraison pour 4AD est la plus joyeuse qu’il nous ait été donné d’entendre à ce jour dans le chef de Deerhunter et surtout la plus simple à analyser. Court et concis (on est juste sous la barre des 40 minutes), Fading Frontier est le genre de disque qui devrait une bonne fois pour toutes asseoir la notoriété du groupe auprès d’un plus large public – un peu comme Tame Impala a pu le faire avec son petit dernier. Car comme avec Currents et sa palanquée de singles calibrés pour les matraquages en radio, Fading Frontier est suffisamment accessible pour qu'on envisage d’exposer les névroses de Bradford Cox à un public pas forcément habitué à être confronté à ce genre de bête de foire.
Car derrière des paroles qui continuent d’aborder des thèmes d’une noirceur à rendre jaloux n’importe quel chanteur de black métal, il y a une recherche de l’efficacité qui transpire par tous les pores de l'écriture, simple et limpide. Ce qui donne lieu à des moments d’une bizarrerie incroyable, comme sur l’imparable « Snakeskin », qui s’ouvre sur des paroles bien pesantes qui évoquent de manière frontale la mal-être de Cox ("I was born already nailed to the cross") alors que derrière on a l’impression d’entendre un titre qui n'aurait pas fait tache sur les meilleures plaques de T-Rex. Ailleurs sur le disque, ce sont des soubresauts dream-pop, funk ou indie folk qui font respirer un disque qui foutrait grave le cafard si la musique se calait sur le songwriting.
À 33 ans et avec une discographie absolument impeccable à faire valoir (que ce soit avec Deerhunter ou son projet solo Atlas Sound), Bradford Cox devrait être un type bien dans ses baskets et envahi d'un sentiment gratifiant de devoir accompli. Pourtant, derrière une luminosité et une bonhomie de façade, Fading Frontier est une nouvelle preuve que l'Américain ne va pas bien. Et malheureusement pour lui, vu le niveau de qualité qui ne baisse jamais (c'est même tout le contraire), on a envie de lui souhaiter dix nouvelles années de galères et de questionnements existentiels... Désolé mec.