Fabriclive 90
Kahn & Neek
Si tout se déroulait comme prévu, on aurait pu vous pondre une chronique toute faite sur le thème de « l’overdose de grime en 2016 ». On aurait très certainement utilisé des expressions comme « grime matin, midi et soir », « grime à tous les étages » ou encore « grime ad nauseam ». Sauf qu’entre la réalité et la fiction, 2016 nous mis quelques petites balayettes : Fillon a claqué un gros hadouken face à Juppé, les rosbifs ont mis l’Europe en PLS, Kanye West est allé prendre le thé chez Donald Trump et Eder s’est pris pour un buteur de talent. À force de penser que tout était prévisible en ce bas monde, l’année 2016 a été celle des « imprévus ».
De notre côté, pris dans la paresse intellectuelle générale de notre époque, nous avions imaginé qu'en 2016 le grime (instrumental) allait sortir de sa posture de fragile de fond de la classe pour enfin éclater des gueules. Manque de pot, ça fait déjà deux putains d’années qu’on vous bassine avec ce discours et que (presque) rien n’arrive. Pourtant, tel le supporter d’Arsenal, nous croyons encore et toujours au Grand Soir. On continue donc à s’enfiler des albums et des EPs pour vous démontrer qu’un rédacteur de GMD ne se trompe jamais !
Et puis bon, l'annonce du 90ème Fabriclive avec Kahn et Neek aux manettes devait nous éviter de passer pour des Paco Rabanne de la chronique musicale. On se retrouve donc au lancement de ce mix comme Minus et Cortex, persuadé que cette fois serait la bonne. Il faut dire qu’avec deux gars de la trempe de Kahn et Neek au commande, nos chances de se planter étaient extrêmement réduites. Les deux gusses mixent régulièrement ensemble et ont déjà offert quelques plaques de très haut standing à des labels comme Tectonic, Deep Medi ( <3 cet Abattoir de Kahn) ou Punch Drunk. Ajoutons à cela que les deux producteurs de Bristol sont aussi à l’aise avec le dubstep old school qu’avec avec le grime 2.0. Tous les ingrédients étaient donc en place pour que nous tenions enfin notre mix référence.
Avec 14 inédits au compteur et une chiée de titres imparables, Kahn et Neek ont objectivement réalisé une sélection quasi impeccable. Entre le dubstep mystique d’un Pinch ou d’un Spaceape, les remixes sauce grime sur "Bongo" de Youngstar et "No Long Talk" de Lemzly Dale, ou encore cette bombe de "Topper Top" de Sir Spyro, les deux Britons ont assez de munitions en soute pour mettre fin à la guerre en Syrie. De ce point de vue là, ce Fabriclive place un paquet de high kicks tant pour l’amateur de dubstep éclairé que pour le grimix de la dernière heure. Nos "selectah" démontrent une nouvelle fois tout le potentiel du grime qui ajoute cette touche de nervosité qui peut parfois manquer au mix 100% dubstep. Inversement, le dubstep vient ajouter un peu de cojones à un grime qui ressemble parfois un peu trop à un ado prépubère de 30 kg. « Alors on le tient ce putain de mix référence ? » me direz-vous. Et bien malheureusement non, le compte n’y est pas tout à fait. Explications.
Le fond du mix n’est pas à mettre en cause comme on vous le disait précédemment. Non, le problème de ce Fabriclive provient de sa dynamique, ou plutôt de son manque cruel de dynamique. En plus d'un démarrage mou comme un sexe de septuagénaire, ces 75 minutes de musique peinent cruellement à nous raconter quelque chose. C'est pourtant tout le but et la valeur ajoutée d'un tel format qui permet de s'éloigner du simple mix pour éclater des clubs. En vrai, on espérait un peu mieux de nos petits copains Kahn et Neek sur ce plan-là.
Et le grime dans tout ça ? Malgré de vraies réussites (mention spéciale à "Acting the Goat" de Neek), les titres de grime jouent trop souvent le rôle de sparring partner face à la lourdeur d'un dubstep qui décoche des droites à la Floyd Mayweather. Rien de catastrophique, mais pas de quoi nous faire revoir notre jugement (assez désabusé) sur l'avenir du grime. À défaut d'avoir sorti un mix à ranger au Panthéon des Fabriclive, Kahn et Neek ont fourni une putain réserve de tubes comme on n'en avait plus entendue depuis belle lurette. C'est déjà pas si mal que ça, nous direz-vous...