Fabriclive 83
Logan Sama
On ne va pas refaire l'histoire: ça fait dix ans que le grime balance de la bombe sale avec plus d'acharnement que l'armée de Bachar. Dix ans aussi que, en dehors d'un petit cercle d'initiés, tout le monde le résume aux exploits datés de Dizzee Rascal. Une donne qui change ; y'a qu'à voir l'intervention remarquée de Skepta lors du dernier OVO Fest ou celle de Kanye West aux Brit Awards, qui y a interprété son "All Day" aux côtés de plusieurs piliers du genre.
En 2015, on a le sentiment que le grime devient enfin bankable. C'est aussi cette année qu'il propose une actualité des plus anarchiques : prolifique, celle-ci se répand sur Soundcloud, Bandcamp, Youtube ou Audiomack, et se segmente entre sorties officielles, white labels et unreleased. Bref, bon courage pour prendre le train en marche. A moins de ne plus dormir, il n'y a guère aujourd'hui qu'un DJ anglais pour capter l'essence du grime. Et un très bon DJ.
Note aux novices : ne pas se reposer sur ses acquis est inscrit dans l'ADN de la culture grime. Et si auparavant tout se jouait sur vinyle et si un riddim à succès donnait lieu à des dizaines de dubplates et V.I.P., le mouvement est désormais affranchi de sa contrainte matérielle et évolue donc en dehors de toute limite, affichant une épatante capacité à se renouveler. Et la meilleure preuve de ce qu'on avance, c'est que que tu as aujourd'hui de fortes chances de te retrouver en club à écouter des versions différentes d'un morceau de grime qui traîne dans ton iPod, selon que celui-ci est joué par Oneman, DJ Spyro ou Logan Sama.
Parlons-en justement du père Sama, vu qu'il reste assez confidentiel dans nos contrées : à l'instar d'un DJ EZ avec le UK garage, l'Anglais est l'une des plus importantes consciences grime en activité, toujours à l'affût de la moindre mutation. Tous deux ont officié derrière les platines de Kiss.fm dans leur jeunesse. Par après, le blanc-bec a eu l'opportunité de faire les beaux jours de Rinse.fm et de toute la machine Boy Better Know (Skepta, JME et consorts). Autant dire qu'avec un passif pareil, on n'attend certainement pas de Logan Sama qu'il vienne nous servir la soupe à grands coups de standards, mais plutôt qu'il propose la photographie la plus pertinente possible de la bonne santé qu'affiche le grime après dix ans d'existence.
Une mission dont le DJ s’accommode volontiers ici : c'est justement la recherche d'unicité qu'il privilégie, avec la ferme intention de cristalliser l'énergie d'un showcase tout au long de son mix. Et s'il aurait pu se contenter d'empiler bêtement ses riddims préférés – et vu les titres sélectionnés, il aurait rempli son contrat rien qu'avec ça – on félicite l'Anglais d'avoir joué ça "à l'ancienne", c'est-à-dire en conviant les flows TGV d'un large éventail d'artistes allant du vétéran Wiley au rookie Novelist. Résultat : on a davantage la sensation d'avoir branché son poste de radio sur un Rinse.fm que d'avoir lancé un volume de la série Fabriclive. Avec le sentiment d'écouter quelque chose de totalement spontané, avec la fougue et les imperfections que cela implique.
En tout cas, il y a ici une alchimie épatante entre un DJ qui envoie de la pure matière première et une armada de MC's enthousiastes qui balancent la purée une fois le micro en main. Tant et si bien que quand Logan Sama finit enfin par rendre l'antenne, Fabriclive 83 a déjà une belle grosse heure de son au compteur, garantie sans temps morts, et qui présente un panorama éclatant de la jeunesse éternelle dans laquelle baigne le grime. Un 83ème volume qui enchaîne les claques et s'inscrit dans le sillage riche en infrabasses des Fabriclive signés Elijah & Skiliam et Mumdance.