Fabriclive 80
Mumdance
En 2015, on a beau s’appeler Fabric, il ne doit pas être facile de se faire un peu d’argent avec des compilations mixées, aussi prestigieuse la série puisse-t-elle être. Quand on voit qu’il suffit de se pencher pour tomber sur un podcast d’un niveau au moins égal (voire supérieur) à certains numéros de la collection, on se dit que ces mecs doivent parfois penser à jeter l’éponge – même si ces mixes sont davantage une luxueuse vitrine promotionnelle qu’un moyen de renflouer les caisses d’un club qui, de toute façon, fait tourner la planche à billets tous les weekends. Mais voilà, à intervalles réguliers, la série justifie amplement sa raison d’être, soit parce qu’elle parvient à s’offrir les services de mecs qui doivent simplement être à la hauteur de leur réputation pour nous foutre des étoiles plein les yeux (on pense ici aux sélections de Robert Hood ou Ricard Villalobos), soit parce qu’elle nous confronte à un mix complètement improbable, qui atomise tout simplement nos attentes. Ce Fabriclive 80 signé Mumdance appartient à cette seconde catégorie.
En effet, si on a toujours respecté le producteur londonien pour sa volonté farouche de faire évoluer la bass music sur des territoires inhabituels, jamais on n’aurait imaginé se retrouver avec une telle sélection de fondu, essentiellement composée d’unreleased et d’exclus. La surprise est d’autant plus grande qu’il y a peu, on associait encore Mumdance aux couillons de chez Mad Decent, alors qu'en 2015 on se félicite plutôt de ses trouvailles avec son 'partner in grime' Logos. En même temps, venant d’un producteur qui traîne beaucoup avec un certain Pinch (écoute ça négro) et qui a récemment déclaré à Pitchfork “If something confuses the shit out of you on the dancefloor—that’s a beautiful thing,” fallait se méfier – dans le bon sens du terme.
Pour arriver au bout de ce Fabriclive 80, on vous conseille vivement de laisser vos certitudes ou vos préjugés au placard et de vous préparer à vous prendre une belle petite gifle. Car avec Mumdance, vous foutez les pieds dans un véritable laboratoire d’idées, où les changements d’atmosphère et les cassures sont nombreuses, où le pied de nez esthétique est érigé en sacerdoce, sans que cela plombe pour autant la cohérence de l’ensemble. Ainsi, terminée une longue introduction beatless et bruitiste qui risque d’en décourager plus d’un, un virage ‘deviant techno’ est entamé avant un final placé sous le signe du grime futuriste et du happy hardcore des familles. Trois blocs en apparence hermétiques, que rien n’unit sur le papier et qui pourtant finissent par se fondre dans un ensemble narratif qui fait sens.
Attention, tout n’est pas réussi sur ce Fabriclive 80 très ambitieux et qui mériterait de tisser sa toile pendant une heure de plus. On sent que Mumdance a beaucoup de choses à dire, et que ce format contraignant ne lui permet pas de tout dire. Mais à l’arrivée, malgré ses manquements, malgré son radicalisme revendiqué et malgré ses aspérités, ce mix de Mumdance s’inscrit comme l’un des plus novateurs et ‘forward-looking’ de l’histoire récente des compilations Fabric. Et franchement, même à moitié réussi (ce qu’il n’est pas), ce mix vaudra toujours plus à nos yeux que le millième enchaînement des trente mêmes titres de tech-house du moment. L'essence-même de la bass music c'est des types comme Mumdance, qui justifient encore (et c'est devenu rare) le statut de musique qui mute dans le bon sens depuis dix ans. Respect, tout simplement.