Fabric 36
Ricardo Villalobos
Le fameux label Fabric Records a toujours eu de quoi faire des envieux, et la rentrée qui arrive ne laisse rien présager de moins bon pour les mois à venir (un rapide coup d’œil sur le site officiel devra vous en convaincre aisément). Comme toujours, les Londoniens ne se privent pas de faire parler leur précieux carnet d’adresse et convient le Chilien Villalobos, devenu rapidement une légende vivante dans le petit milieu de la house minimale, à signer la 72ème compilations de cette organisation au sommet de son art. Pour cette participation de taille, Ricardo Villalobos propose de mettre son talent au service d’un concept unique au sein des compilations mixées du label : échafauder une sélection composée de titres exclusivement produits par le Chilien (incluant quelques collaborations seulement). Une démarche qui peut sembler prétentieuse à quelques égards, mais qui ravira sans plus de considérations les plus fans du bonhomme et de ses trop rares livraisons studios.
L’osmose semble immédiate entre la liberté d’action offerte par le label (véritable leitmotiv à en écouter les déclarations faites par les artistes eux-mêmes) et l’imaginaire coloré de Villalobos. On retrouve cette rigueur si attachante avec laquelle celui-ci travaille la basse en profondeur et les extravagances organiques qui habillent cette ossature d’apparence si fragile. De « Groove 1880 » à « Chropuspel Zundung », on découvre une partie de cache-cache entre des arrangements cycliques parfaits, sorte de boucle permanente qui n’atteint son point d’orgue que dans les allers-retours incessants de ses rythmiques. L’écoute approfondie nous transporte dans un rituel circulaire qui gravite autour de ce trou noir aimanté dans lequel la musique s’efforce de ne pas tomber, c’est cet équilibre instable et pourtant admirablement bien dompté qui rend compte du talent sans faille de Villalobos. Dans cette optique, les tracks viennent logiquement mourir l’une dans l’autre, donnant jusqu’à leur disparition totale un souffle nouveau pour le reste à suivre, assurant toujours la parfaite cohérence de cet univers toujours sous contrôle .
Un talent qui ne serait rien sans cet amour pour les atmosphères chaudes et hermétiques et, qu’elles soient métalliques (« Mecker »), obscures (« M.Bassy ») organiques (le sublime « Perc and Drum »), celles-ci respirent la moiteur d’une chaude nuit d’été, parfaitement achalandées pour mener l’auditeur à la transe inévitable. Il ne reste alors plus qu’à parsemer cet ouvrage de bleeps aquatiques, de mélodies synthétiques exemplaires pour obtenir à nouveau ce qui se fait de mieux en matière de house minimale exigeante (par opposition à ce courant néo-trance dans lequel Kompakt et autres ont un peu tendance à s’embourber ces derniers temps). Un mix qui ne cesse jamais d’étonner avec ses bleeps aquatiques et son audace minimaliste, dispersant par là deux perles monumentales en la présence de « Andruic & Japan » et du diptyque final « Primer Encuentro Latino-Americano / Chropuspel Zundung » qui résume à merveille cette sévérité avec laquelle les titres sont travaillés pour transformer une musique potentiellement barbante en labyrinthe musical gigantesque. A tel point qu’on est en droit de se demander qui de l’organique ou de l’électronique sert l’autre, c’est ce profond mystère qui fait de Villalobos cet artiste à part, cet indéfectible perfectionniste au service d’une musique aussi moderne qu’éternelle dans l’esprit qui l’habite.
Le Chilien signe donc sans surprise un mix proche de la perfection, parfois hermétique et difficile, mais qui redonne ses lettres de noblesse à une minimale parfois en perdition. C’est dans ce climat particulier que cette compilation vient rappeler à tous que le minimalisme électronique en revient sans cesse à des choses simples, des émotions pures qui ne demandent qu’à être exprimées dans la sobriété de ses constructions et la grandiloquence de ses ambitions.