Everything Was Beautiful
Spiritualized
Il n’existe pas sur ces pages de chronique de Ladies and gentlemen we are floating in space, le troisième album de Spiritualized. Et pour cause, quand sort en juin 1997 ce grand disque sur lequel gospel, blues, garage rock et pop psychédélique entrent dans une irrésistible fusion, les rédacteurs et rédactrices de Goûte Mes Disques sont encore en phase d’écolage au contact de Rock Sound ou des Inrocks, quand ils ne sont pas pour certain·e·s davantage préoccupé·e·s par le goût de leurs crottes de nez que par la bonne santé du rock britannique. Quelle année pourtant : c’est aussi en 1997 que sort Young Team de Mogwai ou OK Computer de Radiohead, deux disques qui n’accèderont pas à la première marche du podium du NME, qui lui a préféré cette année-là… Ladies and gentlemen we are floating in space.
25 ans plus tard, la décision reste tout à fait défendable, tant le disque proposait une formule inhabituelle, marquée au fer rouge par les tourments de son leader Jason Pierce, jamais le dernier quand il s’agit de se mettre des bâtons dans les roues. Et surtout, on aurait aimé avoir déjà rédigé un papier sur le disque à l’époque, car il nous aurait été bien utile : on aurait pu aller y y pomper tous nos arguments, car rarement un disque de Spiritualized aura autant ressemblé à Ladies and gentlemen we are floating in space, dont Everything Was Beautiful reprend tous les codes, tous les ingrédients et toutes les meilleures idées.
Dit comme cela, on pourrait penser que le neuvième album studio du groupe de l’ex-Spacemen 3 n’est qu’une resucée ou une tentative de capitaliser sur un glorieux passé. Sauf que sur ce dernier point d’abord, on pourra difficilement taxer Spiritualized de paresse crasse, tant la discographie du groupe aura toujours su jouer la carte de la variété - souvent en raison des aléas d’une existence compliquée, comme ce Songs in A&E inspiré par l’expérience de mort imminente vécue par Jason Pierce en 2005. Quant au caractère potentiellement répétitif et rébarbatif de l’exercice, Spiritualized y répond par la qualité de l’écriture de ces sept nouvelles compositions, qui forment un ensemble bien compact de 45 minutes au cours desquelles rien ne nous est épargné. Il faut dire que le grand huit émotionnel, c’est une spécialité de la maison depuis sa fondation il y a plus de 30 ans déjà. En grand artisan du « chaos maîtrisé », Jason Pierce passe de l’émotion la plus pure à l’explosion cathartique sans oublier de s’offrir l’une ou l’autre montée en puissance dont il a le secret – quand il n’arrive pas à caser tout cela dans un seul et même titre, comme sur « The Mainline Song » et son final qui vous donne envie de vivre d'eau fraîche et de gospel, ou « The A Song (Laid In Your Arms) » et ses sept minutes à se faire brinquebaler d’un bout à l’autre du spectre émotionnel. Et quand bien même Spiritualized se plait à additionner les strates et les influences, on se retrouve avec un produit fini dont la principale force reste la pureté et la limpidité.
Pour la plupart issus des mêmes sessions que celles ayant accouché de And Nothing Hurt en 2018, tous les titres de Everything Was Beautiful ont été finalisés en période de pandémie et de confinement, à une époque où, de son propre aveu, Jason Pierce n’avait rien d’autre à faire que de se concentrer sur la musique. Il en ressort, assez logiquement, un disque à ranger parmi les plus aboutis et méticuleux de la discographie du groupe. Et celles et ceux qui la connaissent vous le diront haut et fort : c'est un petit exploit.