Everything is Beautiful / Everything Sucks
Princess Nokia
Un peu comme ses consœurs Azealia Banks, Leikeli47 ou Junglepussy, Princess Nokia cultive une certaine forme d’hybridité. Que ce soit lorsqu’elle sort de la musique, joue dans des films ou pose pour des photos, Destiny Frasqueri prend toujours un malin plaisir à s'afficher là où on ne l’attend pas, à confondre son public avec des alter egos, et à nous révéler sa passion pour des genres musicaux dont on la pensait très éloignée - elle se reconnaît bien plus qu'on ne l'imagine dans les esthétiques et les imaginaires goth ou emo.
Et il est vrai que cette frivolité peut parfois agacer. En 2016, sa mixtape 1992 avait été une véritable bouffée d’air frais. On y découvrait une rappeuse qui transpirait la liberté, qui parlait avec beaucoup d’impact de féminisme, de body-positivism, d’intersectionnalité LGBTQ+. Et qui saupoudrait le tout de son impressionnante culture geek qu’elle avait pris le temps de parfaire en bonne otaku dans sa chambre d’ado. Outre ses qualités indéniables de rappeuse, l’originalité de ce projet était la sincérité avec laquelle Destiny Frasqueri parlait d’elle-même, frôlant parfois le journal intime ou l’autobiographie. C’était touchant, viscéral et émancipateur. Deux ans plus tard, en 2018, c’est avec une légère déception qu’on accueillait A Girl Cried Red, EP un peu plus emo qui lui permettait de revenir à ses amours de jeunesse. Le projet semblait bâclé, comme si elle s’était rendue compte en cours de route que cette nouvelle orientation musicale ne lui convenait pas tout à fait. Tiens, ça nous rappelle un certain Kid Cudi et ses aventures indie-rock avec WZRD et Speedin’Bullet 2 Heaven.
Cette fois, sa nouvelle cuvée ne propose pas un mais deux nouveaux albums. Le premier, Everything Sucks, propose une version yandere de celle qui se faisait autrefois appeler Wavy Spice. Enregistré en à peine une semaine, le projet se démarque par une nonchalance déconcertante et des mimiques vite agaçantes. Sur des productions trap grossièrement racoleuses, Princess Nokia s’invente une sorte de Roman Zolanski du pauvre (l’alter ego démoniaque de Nicki Minaj, particulièrement mis à l’honneur dans le mémorable « Roman Holiday »). Les rimes sont poussives, les flows très répétitifs voire bancals. À part « Fee Fi Foe » et « Balienciaga », pas grand-chose à conserver de ce projet. Si ce n’est encore le très autobiographique « Just a Kid », véritable hymne de résilience qui arrive à nous arracher une larme et sauve in extremis le projet.
Heureusement pour nous, la deuxième galette, Everything is Beautiful, est beaucoup plus appréciable. Comme sur 1992, Princess Nokia semble gagner en pertinence lorsqu’elle tire moins la gueule et laisse la lumière se poser sur elle. Avec son sourire malicieux et sa voix aiguë qui lui donne un côté faussement ingénu, Princess Nokia parle avec aisance de son adulescence (« Green Eggs & Ham », « Wash & Sets»), d’empowerment (« Suger Honey Iced Tea »), de résilience (« Blessings », « Heart », « I Am Free »), d’ésotérisme (les très réussis « Gemini » et « Sunday Beasts » en featuring avec les jazzmen d’Onyx Collective et le duo Oshun) ou encore de ses origines caribéennes (« Soul Food y Adobo »). Entre ego trips délirants et bonne humeur très communicative, on en oublierait presque cette tendance à partir dans toutes les directions qui mine la cohérence du projet.
Reconnaissons quand même le très beau morceau qui clôt l’album, le bien nommé « The Conclusion », invalide quelque peu notre prétentieuse critique : « All my albums differ, and I am really proud of that / People think it's silly, but I will never dial back / 'Cause I like to experiment, and I see nothing wrong with that ». C'est fort joliment dit mais ça n'enlève rien à la médiocrité de la première partie du diptyque, qu'on se le dise.