Even The Horizon Knows Its Bounds

Lawrence English

Room40 – 2025
par Simon, le 18 février 2025
7

Il y a quelque chose d’assez schizophrène dans le fait de chroniquer le nouvel album de Lawrence English au lendemain des dernières sorties médiatiques de Kanye West. Il est particulier de se perdre dans l’océan de Even The Horizon Know Its Bounds alors que la tendance actuelle est d’imprimer des croix gammées sur du merch promotionné lors d’une mi-temps du Superbowl. Drôle de période pour un drôle de monde.

Peut-être dès lors que ce nouvel album collaboratif tient sa raison d’être dans une quelconque vertu thérapeutique à l’heure des broligarchies et extrêmes de tous bords. Ce serait bien limiter tout le travail de Lawrence English en 2025, conscience parmi les consciences musicales de ces dernières décennies musicales. Une sorte de producteur préféré de tous tes producteurs d’ambient préférés : gérant émérite d’un des plus beaux labels de la planète ambient (Room40), photographe d’exception et philosophe/musicologue renommé mondialement, à juste titre. Un travail relativement intouchable qui l’amène à sortir des disques qui le sont tout autant, seul où au travers de collaborations avec des gens de sa stature.

Présenté comme sa nouvelle composition solo, Even The Horizon Knows Its Bounds est en réalité le travail de onze personnes – parmi lesquelles l'indispensable Jim O’Rourke ou l'étoile montante de la bedroom pop Claire Rousay. Une somme de matériaux jouée par cette petite bande et agglomérée par l’Australien dans le cadre d’une exposition au Naala Badu – littéralement « voir l’eau » -, un bâtiment incorporé à la Galerie d’art du New South Wales lors de son ouverture en 2022. Conçue comme une réflexion sur la nature qu’entretient le son avec l’architecture (architecture dite liquide ici), son rapport à la forme et à la fonction ainsi qu’à sa porosité, ce nouvel album collaboratif ne peut pas totalement se concevoir sans son accroche intellectuelle. Le miracle par contre, comme à chaque fois avec Lawrence English, c’est que la matérialité de l’œuvre et son inscription dans la réalité de nos vies dépassent toujours la simple considération mentale. Ici, il y a à manger pour dix et l’œuvre n’a de minimaliste que son genre musical. Tout est absolument gorgé en vibrations, en densité et en modulations. Et quand la musique de nappes ne semble plus suffire, on y va à grands coups de piano solitaire, d’effondrements discrets et de cordes bien dignes.

Une musique que notre seule présence pourrait suffire à déranger, dans laquelle il est interdit de courir. On y marche seulement, on contemple la hauteur gigantesque de ce plafond de ciel, on prend l’air dans une grande fresque post-industrielle. On respire quoi, on se perd en solo et revient finalement à notre point de départ. Moins idiot qu’avant, toujours un peu plus conscient du monde qui nous entoure. Sans être l’œuvre de sa vie et grâce à une bonne bande de copains, Lawrence English éblouit sans forcer, avec une œuvre au minimalisme gigantesque. L’occasion de prendre un peu de distance avec un environnement si délétère, de s’envoyer un contenu tellement beau que la fin de tout ça n’inquiète plus vraiment. Ca parait simple et c’est pourtant incroyablement compliqué et référencé. La carrière de Lawrence English suit son cours, et c’est toujours particulier d’entendre de si belles choses dans un monde si con. Politics is Noise.