Even A Tree Can Shed Tears : Japanese Folk & Rock 1969 – 1973
Various Artists
Ceux qui connaissent un tant soit peu Light In The Attic vous le confirmeront : le label de Seattle fait partie de ces rares maisons que l’on peut suivre benoîtement. Tout à prendre, rien à jeter. Si l’un de ses principaux faits d’armes est d’avoir sorti l’incroyable premier album des Black Angels en 2006 (Passover), LITA pense surtout à nos portefeuilles en rééditant des disques souvent devenus difficilement trouvables (et donc impayables) et en replaçant sous les projecteurs des disques qu’un jeune public de curieux ne découvrirait peut-être pas tout seul – on pense à Françoise Hardy, Lee Hazelwood ou Lucio Battisti. Et puis Light in the Attic, c’est aussi Sixto Rodriguez, héros du documentaire Searching For Sugar Man. Bref, niveau street cred, le label se pose là.
Et puis à l’occasion, les mecs de chez Light In Attic repoussent leurs limites encore plus loin en rééditant des artistes qui sortent réellement des sentiers battus ou de leur zone de comfort. Et la compilation Even A Tree Can Shed Tears : Japanese Folk & Rock 1969 – 1973 fait clairement partie de cette dernière catégorie. En effet, derrière ce titre assez évident, Light In The Attic ouvre une porte jusque là fermée pour les oreilles occidentales, puisque l’immense majorité des titres ici présentés n’ont jamais été distribués ou diffusés en dehors du Japon. Et puis on le sait, pour les petits européens que nous sommes, évoquer la culture japonaise, c’est se confronter à notre ignorance totale en la matière une fois qu’on a fait le tour des quelques clichés que l’on peut avoir à leur égard – la décence et le politiquement correct nous incitent à ne pas les lister ici.
Revenir à la fin des années 60 au Japon, c’est découvrir toute une génération d’artistes forcément et fortement influencée par le folk-rock américain de l’époque, dont les têtes de gondole se nommaient Joan Baez, Bob Dylan, Joni Mitchell, Crosby, Stills & Nash, Buffalo Springfield ou encore The Byrds. Des artistes auxquels les noms présents sur cette compilation vouaient un véritable culte et dont ils se réappropriaient les codes faute d’avoir trouvé quelque chose de mieux à faire. Mais c’est aussi se confronter à une génération marquée au fer rouge par une fin de seconde guerre mondiale qui a laissé une plaie béante sur l’île, et égratigné bien des idéaux ou convictions.
Alors ça, c’est évidemment pour le contexte, mais la grande réussite de Even A Tree Can Shed Tears, c’est sa manière de s’imposer à nous tout à fait naturellement, peut-être parce que cette compilation se situe à égale distance entre terrain connu et exotisme. Pas un exotisme de carte postale cheap qui caresserait des envies d’ailleurs absolument mal informées, non. Un exotisme tout en retenue et élégance, pour des histoires de Japon auquel on ne comprendra jamais rien à moins de s’imprégner lentement mais sûrement de sa culture, comme les artistes ici présents l’ont fait avec tout un pan du folk américain de l’époque. Heureusement, nul besoin d’être un expert de cette culture pour en saisir toute la beauté et la complexité au travers de la petite vingtaine de titres ici présents, tous d’une beauté touchante (quand elle n’est pas simplement déchirante), et vecteurs d’émotions vraiment intenses.
On aimerait tellement pouvoir vous raconter l’alpha et l’omega de Even A Tree Can Shed Tears : Japanese Folk & Rock 1969 – 1973, vous raconter toutes les histoires qu’il renferme. Pour cela, il faudrait avoir accès à ceux qui les racontent, et cela, seul le New York Times a pu le faire dans le cadre de la sortie toute récente de ce double LP. L’autre option, c’est de nous faire totalement confiance et de vous plonger dans ce disque sans le moindre préjugé, sans la moindre arrière-pensée. Le saut dans le vide sera vertigineux certes, mais rarement on aura connu chute aussi grisante.