Endless Revisions Live
Chloé
Quand on avait interviewé Chloé il y a deux ans, on avait beaucoup parlé de musique expérimentale et de son rapport à la création : sa façon de jouer avec les textures, de construire ses morceaux, de travailler l'idée désormais rebattue de répétition en musique électronique; bref, on aime la Chloé subtile. Mais lorsqu'on avait eu l'occasion de la voir aux Nuits Sonores, on avait découvert une Chloé qui ne ménageait pas son public : ça kickait, ça droppait, ça hurlait et l'ambiance exceptionnelle qu'elle faisait régner dans la halle permettait de renverser notre écoute de l'album. D'où notre impatience de découvrir Endless Revisions Live tant Endless Revisions est une mine d'or pour le live. Abouti, réfléchi, varié, c'est en termes de composition le travail le plus qualitatif de sa carrière. Et alors que l'album studio avait quelque chose de plus doux et mental, sa performance live avait osé en tirer plus que ce que Chloé elle-même n'en avait peut-être imaginé au départ.
Sauf que le véritable enjeu ici, c'est de savoir dans quelle mesure une performance live peut être transformée en un album live. Devenus des objets rarissimes, les albums live de musiques électroniques sont des reliques d'une conception très french touch de la house et de la techno. La preuve, c'est que d'un côté, on entend beaucoup parler des albums live de Justice, duo qui pèse de moins en moins dans les musiques électroniques (et dont le dernier en date est un très mauvais exemple); et que d'un autre côté, un artiste comme Arnaud Rebotini, pourtant franchement axé sur la performance de concert depuis le début de sa carrière, n'en a jamais sorti un. La prise de risque était-elle justifiée pour Chloé ?
Sur une partie de l'album, on peut dire que le pari est réussi. L'enchaînement « Ultimate High » / « Party Moonster » restitue parfaitement le travail de « clubisation » de Endless Revisions, tout en rendant possible et intéressante une écoute domestique. Et si Chloé a décidé de ne pas se plier à l'exercice du mashup, devenu classique depuis Alive 2007, c'est dans un souci très apprécié de ne pas trahir ses morceaux. Ainsi chaque piste s'ajoute au live en se fondant dans la précédente avec une efficacité jamais gâtée par la simplicité. Et à ce titre-là, l'inclusion de l'inédit « Moonscape » ou la revisite de son ancien morceau « Sometimes » enrichit grandement le cadre de l'album. Le grand danger dans ce genre d'exercice, c'est que l'auditeur ait l'impression d'écouter une version moins bien produite de l'album studio. Et c'est là qu'une petite déception pointe le bout de son nez : il arrive qu'on oublie le live, notamment à l'écoute de « The Dawn », qui était pourtant le morceau phare de Endless Revisions. Par ailleurs, on aurait aimé entendre des versions retravaillées d'autres titres, comme les featurings avec Ben Shemie de Suuns ou Alain Chamfort.
En réalité, l'album live de Chloé a souvent le cul entre deux chaises. D'un côté, on comprend que la décision ait été prise d'offrir une écoute très propre de la performance, permettant d'apprécier le travail qui a été fait sur les compositions par rapport aux versions studio, justifiant une appellation « live » en aucun cas usurpée. Mais d'un autre côté, cette décision nous prive de sensations qu'on pourrait avoir en écoutant le disque au casque, par exemple. Pourquoi n'entend-on véritablement le public qu'à partir de la moitié de « The Backlash », avant-dernier morceau de l'album ? Pour l'avoir vécu, on peut vous l'affirmer sans sourciller : il ne se réveille pas à ce moment-là. Et puis comment nous permettre de nous mettre réellement à sa place quand le disque ne dure que 45 minutes ? Le choix est vraiment troublant et symptomatique de tout le paradoxe qui entoure cette sortie. Et dans ce paradoxe, c'est toute la complexité du live électronique porté sur disque qui est mis à jour. Pris entre l'envie de produire un album live qui montre tout le talent de l'artiste et le désir d'exhiber la folie du public pendant l'événement, Endless Revisions Live met la lumière à la fois sur la qualité du travail de la Parisienne et sur les limites de l'exercice lorsqu'il s'applique à sa musique.