Empires of Shame
Frustration
Dans l’inconscient de pas mal de trentenaires / quarantenaires un tant soit peu au fait de l’actualité musicale, l’évocation du travail accompli par Born Bad Records force autant le respect qu’il ne renvoie à des images de totale branchitude et de féroce indépendance. Une attitude frontale et radicale incarnée par le patron de la maison, le gominé JB Wizz, devenu un objet de culte notamment grâce à cette interview mémorable (et pleine de vérités) pour Vice – l’un des organes de propagande de choix de Born Bad, aux côtés de la grande famille Gonzaï.
Cette fameuse branchitude donc, elle découle surtout d’une volonté revendiquée de vivre l’aventure Born Bad en total vase clos, plutôt que de caler son calendrier de sorties sur les envies du consommateur lambda de musiques indé - y’a déjà Because Music en France pour ça de toute façon. Et de fait, 10 ans après avoir entamé la folle épopée Born Bad, rien n’a vraiment changé - et franchement, celui qui s’en plaindrait serait bien con. Et la plus belle preuve de ce salutaire immobilisme, c’est ce nouvel album de Frustration, pour rappel la première référence du catalogue Born Bad.
On était donc en 2006 et Full of Sorrow essuyait les plâtres. "Vous n’avez qu’à penser à WARSAW meet WIRE meet the FALL" claironnait un communiqué de presse un peu maladroit. On est 10 ans plus tard et rien n’a vraiment changé chez Frustration, si ce n’est le budget réservé à la rédaction du joli papier à l’attention de la presse. Cette fois-ci, on parle "des punks à costumes douteux qui prenaient des noms de capitale polonaise". C'est quand même autrement plus classe, surtout que derrière, ça tartine de l'éloge sur trois paragraphes très vendeurs pondus par un mec qui écrit notamment pour… Vice. C’est beau l’économie circulaire.
Après, difficile de chier dans les Doc Martens de cette excellente plume, car rien de ce qu’il raconte dans son texte ne peut être attaqué ou contredit. On nous parle d'une voix qui "parcourt les registres comme un ninja les forêts de bambou", on évoque le "vague-à-l’âme curtissien au crachat cockney" et on namedroppe très justement les Smiths et James Murphy pour nous vendre ce Empires of Shame qui se dévore sans jamais se dire une seule seconde que ce disque aurait pu (ou dû) sortir 30 ans plus tôt.
On sait que ces mecs-là ont la cinquantaine bien tapée, qu'ils s’en battent les steaks d’avoir un bon papier de Christophe Conte dans les Inrocks et encore plus d’être en phase avec une quelconque idée de la musique 'populaire' en 2016. C’est d’ailleurs probablement cette liberté totale dans la manière d’appréhender leur art qui les rend si... cool - un terme qu'ils doivent probablement abhorrer. C'est aussi cette attitude totalement détachée qui leur permet de nous pondre un disque tout bonnement exceptionnel, capable de foutre des papillons dans le slip de n’importe quel post-ado un peu curieux comme de propulser les vieux who lost their edge à une époque où ils n’avaient pas encore de mouflets (mais bien des cheveux) et cela sans jamais donner dans la nostalgie nauséabonde ou le passéisme tout puant.
Bref, un impressionnant tour de force pour 99% des groupes qui ont encore le courage de faire du post-punk en 2016, un truc tout à fait normal pour n'importe quelle formation signée chez Born Bad. La classe quoi. La vraie.