Emphasis

Dirac

Spekk – 2010
par Simon, le 19 janvier 2010
8

Si on ne soulignera jamais assez que l’habit fait rarement le moine en matière de musique, on vous accorde tout de même qu’il est difficile d’éprouver un quelconque attrait pour une pochette semblable à celle du nouvel album de Dirac. Du moins, on est loin de pouvoir s’imaginer qu’un visuel aussi terne cache une musique aussi aboutie. Car la nouvelle œuvre du trio vennois est une nouvelle fois la preuve qu’on tient avec Spekk un label référence en matière de drone/ambient (on se souvient particulièrement de la récente œuvre de Level), bien loin de l’ascétisme présenté par cette jaquette. C’est que Dirac est un groupe « expérimental » au sens pur, jusque dans les méthodes de conception de son œuvre : Peter Kutin, Daniel Lercher et Florian Kindliger ont en effet pris l’habitude de s’isoler complètement du monde (le cas échéant dans une résidence secondaire basée à Salzbourg) afin d’accoucher de leur album, suite à une multitude de sessions musicales pensées et improvisées en vase clos, hors de l’excitation des grandes villes et de l’influence d’autres sources sonores.

Basé dans un premier temps sur une association guitare/field recordings/piano/éléments percussifs, la musique de Dirac est avant tout une histoire de vision : pousser le minimalisme ambient à exprimer une force qui dépasse de loin tous les moyens utilisés. Et le trio s’y emploie avec un talent remarquable, quatre pièces seulement et une heure d’un voyage aux confins d’un ambient/post-rock sensible, mesuré de toutes parts pour insuffler aux drones un pouvoir d’évocation gigantesque. La notion de note reprend toute sa vigueur quand on joue à ce niveau de précision, la force de celle-ci va jusqu’à acquérir une dimension presque sacrée dans les mains expertes de ces trois improvisateurs. Car Dirac ne vous laisse jamais sans point de repère, il balise ses longues avancées de lieux reconnaissables après seulement quelques écoutes, et crée entre ceux-ci des espaces de narration clairs-obscurs du meilleur effet. Emphasis pourrait être l’exemple-type de la balance entre l’extrême matérialisme de la note ou de la mélodie (que celle-ci soit jouée clairement ou en fragments ; peu importe qu’elle sorte d’un piano, d’une guitare ou d’une trompette) et le flou chaleureux d’une texture drone.

Une fois que ce mode de fonctionnement est intégré, libre à ces artistes de jouer alors sur les cordes qui relient ces différents outils, pour faire naître avec facilité la tension (l’incroyable « Bantu ») et la langueur (le final tout en decrescendo de « A Rest In Tension ») tout en s’assurant de toujours emballer ses quatre pièces dans un tissu d’émerveillement apaisé. Ces dans ses conditions que le deuxième album de Dirac touche à chaque fois le vrai musical, suscite en permanence l’éveil auditif, comme un inattendu renouveau des sens. Sans trop prendre de risque, on peut parler d’Emphasis comme une pièce maîtresse du drone mélodique de cette fin d’année. Un passage par elle est donc absolument recommandé. Masterpiece.