Elden Ring (OST)

Various Artists

Bandai Namco – 2022
par Émile, le 23 avril 2022
7

Elden. Fucking. Ring.

Ce n’est jamais évident de savoir ce que signifie un projet ambitieux, mais s’il y a un objet culturel qui met tout le monde d’accord en 2022, c’est bien celui-là. Le nouveau jeu de From Software, studio derrière la série Dark Souls et le jeu Bloodborne, restait sur un succès tout à fait mérité pour Sekiro, un titre qui apparaît désormais comme un apéritif pour le monstre qui a été avalé par douze millions de joueurs et de joueuses sur le seul mois de mars. Pour notre lectorat qui n’aurait jamais rien vu passer au sujet d’Elden Ring, imaginez un mélange entre le Seigneur des Anneaux, un univers de dark fantasy, une exigence de jeu qui donne envie de se mordre les phalanges et une tendance à l’atmosphère angoissante particulièrement prononcée. Une aventure longue, engageante, et esthétiquement éprouvante, dans laquelle chaque paysage est un tableau et chaque pas en avant une épreuve.

Pour soutenir un tel monde, impossible de mettre la bande originale au second plan. Mais sans que ce soit une nouveauté pour From Software, l’intention à mettre dans Elden Ring était particulièrement distincte des projets précédents. Traditionnellement, dans les productions du studio de Hidetaka Miyazaki, ça fonctionne comme suit : il y a une musique dans le menu, il y a une musique dans le hub, et il y a une musique qui se déclenche à chaque boss. Un usage parcimonieux et très arcade, mais qui avait comme intérêt principal d’illustrer la dévastation des territoires parcourus et de laisser toute la place à un sound design aussi intelligent à l’écoute qu’essentiel dans le gameplay. Impossible de naviguer dans Dark Souls 3 si on ne peut pas entendre le pas des ennemis au bout d’un couloir, un cri lointain ou le sifflement du vent indiquant une sortie possible. Musicalement, ce sont donc des mondes relativement pauvres, mais cela ne signifie pas que le studio manque de talent dans la composition. Chaque bande originale est un trésor de guerre pour qui a pu terminer les affrontements des différents ennemis principaux qui se placent sur notre parcours. Reconnaissables, personnalisées, et souvent dotées d’un sens de l’épique comme rarement dans l’industrie du jeu vidéo, les compositions de Yuka Kutimura ou Tsukasa Saitoh (entre autres) sont de pures pépites de l’histoire musicale du médium.

La preuve, c’est que plusieurs d’entre eux étaient de retour pour composer la grande partition de Elden Ring. Qu’est-ce qui change, alors ? La plus grosse différence de ce projet, c’est bien évidemment le passage d’un jeu-couloir à un jeu-ouvert. Loin de ne compter que sur des ascenseurs, couloirs et corniches, l’Entre-Terre s’étend à perte de vue, dans une possibilité d’exploration qui laisse le Sans-éclat fraîchement arrivé dans un sentiment de vertige. Pourtant, aussi organiquement que le level design de ce monde ouvert ait été conçu, le cadastre en est simpliste : une dizaine de zones clairement délimitées, dans lesquelles chacune possède son ou ses thèmes – en fonction de la façon dont le jeu nous fait progresser. En terme de quantité donc, Elden Ring fait clairement le taf, ne laissant jamais une exploration de plusieurs dizaines de minutes sans fond musical. Mais c’est là que l’équilibre semble particulièrement complexe, puisqu’il faut à la fois accompagner un jeu qui aurait une toute autre ambiance sans musique, notamment à cause de la possibilité de monter à cheval et donc de filer dans le vent comme dans tant d’autres jeux, mais il faut également rendre compte d’un monde toujours aussi dévasté, et naviguer habilement entre des moments d’exploration et des moments de tensions représentés par les combats.

Dans cet équilibre fragile, difficile de ne pas comparer avec Zelda, tant cette série et la série des Souls se répondent depuis des années. Influence majeure d’Elden Ring, Zelda : Breath Of The Wild avait su moduler l’apparition des musiques en ne laissant souvent que quelques notes de piano flotter par-dessus l’herbe verdoyante d’Hyrule, permettant ainsi d’en accroître soit le caractère mineure la nuit, ou la densité lors des combats, etc. Mais Zelda : Breath Of The Wild se rendait la tâche plus simple en n’essayant pas de construire une tension permanente ni de construire une mythologie entière à travers sa bande originale. Et en se donnant autant de contraintes, on peut dire que celle d’Elden Ring ne parvient pas autant à accompagner l’aventure, même si les longues basses tenues au violoncelle, héritées du précédent opus Sekiro : Shadows Die Twice, remplissent particulièrement bien ce rôle dans Limgrave par exemple.

Mais c’est un problème qui n’en est pas nécessairement un, car finalement, le principal obstacle qui nous empêche d’apprécier la musique, c’est qu’elle joue parfaitement son rôle de créatrice de tension dans un jeu qui souhaite ne jamais laisser parfaitement quiet son utilisateur. En réécoutant hors du jeu les dizaines de compositions d’Elden Ring, on se rend compte de la qualité indécente de chacune d’entre elles. À quel point, par exemple, la musique de la capitale royale de Leyndell ne laisse aucun doute sur la noblesse qui s’y trouva un jour, ou à quel point la musique des ruines de Farum Azula exprime le doux transport d’un monde sorti de l’histoire, morcelé et pris au piège d’un dragon-tornade. En ce qui concerne les bosses, la partition d’Elden Ring est clairement au-dessus de la moyenne, et on ne parle pas que de jeux vidéo. On se prend à regretter que la trilogie du Seigneur des Anneaux n’ait pas pu intégrer la musique du combat contre Morgott (et oui, la référence à LOTR est claire et directe) ou le Dragon-Liche Fortissax.

Et puis il y a ce thème qui encadre parfaitement le jeu. Du menu d’ouverture jusqu’au combat contre Radagon, il rappelle celui de Demon’s Souls, le jeu avec lequel tout avait commencé, et dont le style traverse les années au fur et à mesure que From Software continue d’insister dans la pure heroic fantasy avec laquelle le studio crée ses jeux. Épique, grandiose et dévastatrice, la bande originale d’Elden Ring n’est pas de celle qu’on écoute pour travailler ou aller courir. Elle ne bouleverse pas l’histoire musicale du jeu vidéo, ni celle de l’utilisation en jeu du sound design, mais assoit avec force et beauté le dernier jeu de Hidetaka Miyazaki dans la shortlist des plus grandes aventures de tous les temps.