El Tren Fantasma

Chris Watson

Touch – 2011
par Simon, le 16 janvier 2012
9

« Última llamada para el Tren Fantasma. » Voilà le point de départ d’un disque qui ne ressemble à aucun autre. L’histoire d’une ligne de train – El Tren Fantasma donc – aujourd’hui désaffectée, et qui avait pour particularité de relier le Mexique d’ouest en est, de la côte pacifique à l’Atlantique. Mais ce disque, c’est aussi et surtout l’histoire d’un homme, mais également celle de tous les hommes dont cette ligne était le quotidien jusqu’à il y a peu. Cet homme, c’est Chris Watson, ancien membre de Cabaret Voltaire reconverti en ethnologiste rigoureux. Si on le retrouve au cœur de nombreux reportages animaliers de la BBC, c’est sûrement parce que l’Anglais est le chef de file incontestable en matière de field recording, de capture de sons environnementaux. Son dernier disque – Weather Report – constituait jusqu’à présent l’une des plus grandes œuvres du genre. Avec El Tren Fantasma, Chris Watson va encore un peu plus loin, et explose littéralement la frontières entre capture sonore et sound design.

Du voyage entre Los Mochis et Veracruz ont été tirées des séquences entières de bande sonore, réduites à une heure. Cette contrainte temporelle induit forcément le choix des ambiances, des couleurs, des arrangements. Il y a donc, qu’on le veuille ou non, composition. Les sons environnementaux – bruits de rails, freinages, vents sur la broussaille, animaux, jusqu’à la vie des populations locales - se superposent et s’organisent dans un magma qui tient autant du film dramatique que de la composition électro-acoustique. El Tren Fantasma c’est une heure au cœur-même de la vie de milliers de Mexicains. Pas ceux que vous pouvez apercevoir dans les pubs pour les Pepito, mais ceux qui se lèvent tôt pour traverser des jours durant un univers désert et hostile. Une aventure où tout se ressent, où tout se décrit au plus proche de la réalité. On n’est pas ici dans une vague tentative de cinéma altermondialiste foireux – on laisse ça à Manu Chao et à Florent Pagny. Ici, le son est capté avec une telle précision qu’on nage en permanence dans le sound-art, celui-ci n’étant rien d’autre que la plus instinctive expression d’un milieu naturel.

On ressent ce périple jusqu’à la poussière qui vous empêche de dormir, jusqu’à la chaleur écrasante qui vous coupe le souffle et vous fait suer comme un pain saucisse. Ce Mexique-là fait parfois peur, de nuit souvent, mais il se vit comme des milliers de vies mises bout à bout. Et puis il y a cette agencement de sons, cette manière de traiter le matériau brut comme le point de départ d’une démarche qui s’inscrit inévitablement dans la lignée des musiques concrètes – le matériau concret précédant toujours l’effort abstrait, à l’inverse du schéma traditionnel. La bande sonore s’impose – et restreint dès lors. C’est au musicien de tester les limites, de réarranger pour passer du spectateur à l’acteur. Une dimension poétique viscérale quand on sait que les enregistrements d’El Tren Fantasma sont l’expression même de la liberté. L’exploration comme contrainte de l’œuvre, et pourtant de l’autre côté, la clé de la totale création musicale. Le trip ultime. Chris Watson pose ici son chef d’œuvre. Les mots d’Andrew Weatherall n’ont jamais sonné aussi justes : "A benchmark in field recording not to mention a map of the soul, an insight into the human condition and a key to dreams."