El Léon
Crimeapple
Ces dernières années, c’est tout un pan de l’underground hip hop qui s’est détourné des formats habituels pour s’épanouir dans une forme d’entre-deux qui aura su révéler toute sa pertinence : des projets souvent trop longs pour être des EP et trop courts pour être des albums, et une nouvelle façon de penser son rap dont des gens comme Your Old Droog, Mach-Hommy ou les Zushi Boyz ont su tirer le meilleur parti. Ajoutons à cette liste Crimeapple, MC né en Colombie mais qui a grandi dans le New Jersey, et qui mélange ses deux identités dans un flow crâneur au possible, qui saute en permanence de l’anglais à l’espagnol.
Sauf que lui a vu dans ce nouvel eldorado de la rime une invitation à l’hyperactivité. C’était sans compter sur une petite couille dans le potage : dans cette new gen peu visible, un projet chasse tellement vite l’autre qu’on rate énormément de choses. C’est ce qui arrive avec Crimeapple, un rappeur qui a pourtant eu les honneurs d’une sortie sur Daupe!, s’est fait produire des disques par DJ Muggs et a fait une apparition remarquée chez Westside Gunn.
Dans un contexte peu propice à une visibilité à la hauteur de son talent, Crimeapple ne se remet pas en question. Après ses 5 projets de 2023, le rappeur américano-colombien entame 2024 bille en tête, et bien accompagné : valeur sûre de la scène alternative, Preservation a bossé pour MF Doom ou Roc Marciano. Plus récemment, c’est pour billy woods qu’il a fait parler son talent, faisant d’Aethiopes un album singulier, baroque et captivant. Mais Preservation connaît trop bien Crimeapple pour lui proposer le genre de boucle minimaliste et bizarroïde que la moitié des immenses Armand Hammer s’approprie avec brio là où l’immense majorité des rappeurs se prendrait les pieds dans le tapis.
Pour El Léon, il part sur des choses plus convenues certes, mais le fait pour mieux rapprocher Crimeapple de ses origines en infusant ses productions de références à la musique d’Amérique latine, appliquant à la totalité d’un album une formule qui avait fait des étincelles sur « Prada in Prague » l'année dernière - on précise quand même que quand ça part sur des pentes plus savonneuses, comme sur « Camino Solitario », Crimeapple parvient à suivre le (faux) rythme imprimé par son comparse. Mais on a envie de croire qu’en installant le rappeur dans une zone de confort, c’était pour l’en sortir plus facilement sur la fin du disque : sur « Quanto Te Quiero », Crimeapple évoque sa génitrice avec une sincérité et une candeur qui ne transparaissent que trop rarement dans son rap, ouvrant au passage de nouvelles perspectives pour le duo. Ça tombe bien : El Léon est la première partie d’une trilogie que nous prépare le duo pour 2024. Rarement on aura été aussi bien dans la gueule d’un lion.