EDNA
Headie One
Irving Adjei grandit dans la cité de Broadwater Farm à Tottenham, dans le nord de Londres - ce qui ne l’empêchera pas de préférer Man U aux Spurs. Il commence le rap jeune, fait partie d’un collectif ambitieux et sort même quelques mixtapes prometteuses, comme la série des Drillers x Trappers. Mais la réalité de son quotidien le rattrape constamment : à seulement 26 ans, Headie One cumule déjà 4 passages par la case prison, principalement pour vente de stupéfiants et possession d’arme blanche. Sa dernière incarcération date de cette année et, à sa sortie en avril dernier, le gars se concentre enfin sur l’enregistrement de son premier album studio dédié à sa maman Edna, décédée en 1998 alors qu’il n’avait que 4 ans.
Coincé entre un passé tumultueux et un avenir radieux, celui qui a été surnommé le « King Of Drill » va faire de cette versatilité la colonne vertébrale de son disque. Alors qu’il baigne habituellement dans l’univers sombre et bouillonnant de la drill, Headie One tente avec EDNA un cross-over plus qu’ambitieux : il s’attaque au dancehall avec les incontournables Young T & Bugsey, à de mielleuses ballades R&B avec Mahalia et ose même sampler le « Butterfly » de Crazy Town sur « Ain’t It Different ». La liste complète d’invités, plus qu’hétérogène, confirme également ses ambitions mainstream. Pour autant, Headie One n’oublie pas ses racines drill, et l’enchainement « Triple Science »/ « The Light » le confirme bien. Bref, il y en a pour tous les goûts sur EDNA, et on retrouve ici la même dissonance appliquée par Drake depuis Views ou, plus récemment, par Pop Smoke sur Shoot for the Stars, Aim for the Moon.
Clairement, Headie One met toutes les chances de son côté pour booster ses chiffres de ventes : avec « Only You Freestyle », il a reçu l’approbation divine du patron d'OVO – qui livre ici un couplet peu convaincant sur lequel il force son accent UK (on y est habitués) mais surtout son flow, se laissant complètement dépasser par l’instru fumeuse de M1onthebeat. Fort heureusement, le Londonien est là pour sauver le titre avec une prestation bien plus solide et authentique. Mais peu importe, un featuring de Drake en 2020 reste une arme fatale, surtout si on rêve secrètement de braquer le Billboard américain.
Et clairement, il y a un coup à jouer : côté US, l’année 2020 aura été calme, voire décevante. A contrario, le rap anglais aura connu une de ses plus belles cuvées avec le retour en force de Dizzee Rascal, l’incroyable disque de J Hus en début d’année, le trio maléfique formé par Skepta, Chip et Young Adz sur Insomnia, l’exportation des prods de 808Melo (pour Pop Smoke) et AXL (pour Drake puis Travis Scott) ou encore l’émergence de talents comme Aich et AJ Tracey, sans oublier le daron Stormzy qui, même s’ils n’a pas sorti de disque cette année, prête volontiers main forte aux copains. Headie One, lui, se positionne en délégué du personnel, et endosse même le rôle de porte-parole de cette bouillonnante scène; son premier album studio capturant parfaitement cet état d’esprit conquérant, et les ambitions d’un rap UK en pleine expansion.