Duistre Kamers
De Ambassade
Franchement, hormis ses locuteurs natifs, le néerlandais n’intéresse pas grand monde – et à en juger par l’omniprésence de la culture anglo-saxonne en Flandres et surtout aux Pays-Bas, même eux ont compris que cette langue ne les amènerait pas bien loin. En bons francophones dominants que nous sommes, il est naturel de faire preuve d’ignorance ou, pire encore, de mépris quand on daigne entrer en contact avec des produits culturels chantés dans la langue de Vondel.
Mais avant de poursuivre, il faut bien préciser que le néerlandais n’est pas plus laid ou inutile que l’immense majorité des autres idiomes de la planète. En effet, l’attrait d’une langue tient avant tout au pouvoir socio-politique qu’elle intègre, aux portes qu’elle ouvre, et accessoirement à la beauté qu’elle inspire – raison pour laquelle les langues latines ont si bonne presse, alors que l’allemand ou le chinois n’intéressent que les pauvres types. Raison pour laquelle, aussi, tout disque chanté en néerlandais a un effet repoussoir irraisonné et plombe le jugement de lourdes idées préconçues.
On le savait pertinemment bien en essayant de vous vendre le rap des Bruxellois de Stikstof, et on ne prendra pas ombrage si vous refusez de donner sa chance à ce premier album de De Ambassade, le side project de Dollkraut. Avec ce dernier groupe, Pascal Pinkert recourt à de nombreux artifices stylistiques pour nous dire combien il aime tout ce qui touche de près ou de loin à la neurasthénie. De fait il n’est pas simple de foutre dans une case un groupe qui s’inspire de plusieurs décennies de musique sous courant alternatif, couvrant aussi bien la pop psychédélique ou les B.O. de film que la new wave, le kraut ou l’electro, tout cela à travers des emprunts totalement assumés, mais plutôt intelligemment distillés.
Bonne nouvelle pour les gens qui ont en horreur les choses inclassables : De Ambassade n’a qu’une seule et unique obsession : la synthwave, et de préférence bien cafardeuse. En d’autres termes, on est très loin d’un John Maus par exemple, qui est l’artiste que Spotify juge bon de nous suggérer une fois l’écoute de Duistre Kamers terminée. Une formule en néerlandais à l’attrait assez inattendu auprès d’un plus "large" public, puisque le premier single de De Ambassade, « Geen Genade » sorti en 2016, a dépassé le seuil des 250.000 vues sur YouTube – c’est plus que n’importe quel autre titre de Dollkraut, groupe avec lequel Pascal Pinkert parcourt pourtant l’Europe des clubs et des salles de taille moyenne.
Si comme nous vous n’avez pas résisté au charme poisseux et suranné de « Geen Genade », le plaisir sera total sur un Duistre Kamers qui réussit le petit exploit de reproduit l’idiosyncrasie des premiers émois sur la totalité d’un album sans jamais ne serait-ce que caresser le sentiment de redite, et cela grâce à un jeu permanent sur les cadences, les textures et les ambiances. Entendons-nous bien : la zone de confort définie par Pascal Pinkert est assez restreinte, et la rigueur avec laquelle il se tient à sa feuille de route initiale est remarquable, mais jamais le disque ne lasse ou ne se complait dans le passéisme bidon, probablement parce qu’il n’est composé que de titres extrêmement efficaces, qui activent toutes les bonnes connexions neuronales - celles qui donnent envie de dodeliner de la tête, et celles qui ne donnent pas envie de ressortir toute la discographie de D.A.F. histoire d'oublier pour toujours un minable plagiat.
Chose assez exceptionnelle, après Overlast l'année dernière, c'est encore un disque en néerlandais qui pourrait bien finir sa course très haut dans notre top de fin d'année. On ne sait trop s'il faut y voir là la marque des tous grands ou une magnifique preuve d'ouverture de notre part. Pour ne froisser personne, on dira "un peu des deux".