Dude Incredible
Shellac
Ça ne doit pas être facile tous les jours de s'appeler Steve Albini. On ne va pas plaindre le bonhomme non plus, mais quand même: même si le Master Chef du noise joue parfois les enfoirés (sa langue de pute sait côtoyer la lucidité), il n'est sans doute pas simple de porter l'étiquette du mec qui a produit le dernier album de qui-vous-savez et le premier de cet-autre-là. Une étiquette qui colle sacrément à la peau, quoi que vous fassiez, ou ne fassiez pas. Et pourtant, combien de producteurs (il déteste cette appellation) peuvent se targuer d'être connus au-delà du cercle des initiés pour atteindre une reconnaissance mainstream ? Rick Rubin (dont on vous parlait justement il y a peu), Phil Spector, Martin Hannett, George Martin et deux ou trois autres dans le rock, point barre. C'est d'autant plus impressionnant pour Albini que la méthode qu'il applique est toujours la même, et que oui, un disque enregistré à Electric Audio ne ressemble à aucun autre, mais certainement à toutes ses autres productions pour le meilleur, et presque toujours le meilleur d'ailleurs.
Quant à la deuxième casquette d'Albini, celle de musicien, elle n'est pas non plus dépourvue de malentendus, notamment les accusations de misogynie qui auront pu jalonner sa carrière, de Big Black à Rapeman. Alors que bon, comment peut-on décemment accuser l'homme qui a produit par choix Pod (The Breeders), Rid of Me (PJ Harvey) et Over The Sun (Shannon Wright) d'un sentiment s'en approchant un tant soit peu ? Si l'on oublie finalement tout ceci, il nous reste une discographie exemplaire, aussi proche de l'os que la musique qu'apprécie depuis toujours le chicagoan. Albini, en homme bien occupé, ne produit pourtant que peu de disques et il aura donc fallu attendre sept ans avant que ce Dude Incredible vienne succéder à Excellent Italian Greyhound. Toujours pas de changement dans le son, c'est évident - aurait-on idée de demander à un Bordeaux d'être en bouche comme un Bourgogne ?
En revanche, on est très agréablement surpris par l'immédiateté de ce nouvel effort, moins complexe, plus évident et certainement plus jouissif que le précédent. Un album où l'humour d'Albini affleure et semble assumé comme jamais auparavant, du plus potache au plus corrosif, et où les trois acolytes semblent prendre encore plus de plaisir que par le passé. Le jeu d'Albini (excellent guitariste, on ne le dit que trop peu) s'affine encore et prend des libertés parfois surprenantes (le riff presque country du titre éponyme) alors qu'il n'y a aucune variation de sonorités du début à la fin de l'album. Un excellent cru en somme, à ranger juste à côté de 1000 Hurts, notamment pour son mélange parfait de tensions, de décharges et de mises en apesanteur. Et puis, des singes sur une pochette d'album, c'est presque toujours un gage de qualité (cherchez, vous verrez).