DS4EVER
Gunna
Avec Gunna, on a pris l’habitude de s’attendre à un album qui s’écoute sans trop d’effort, à des paroles légères, un flow apathique et des productions planantes. Une nonchalance heureusement compensée par le côté cartoonesque du personnage, aussi serein qu’un Ronflex et tellement excentrique dans son drip que Rihanna lui a volé un de ses looks pour sa soirée d’Halloween. Riches en featurings, ses projets bénéficient également du travail de la crème des producteurs du moment. L’écoute s’avère alors particulièrement agréable, à condition bien sûr d'aimer nager dans la zone de confort du rap US actuel.
Toutefois, force est de constater que ce DS4EVER ne satisfait pas nos attentes - et on pèse nos mots. La pochette et le premier titre donnent le ton : cet album sera un peu moins coloré que sur ses prédécesseurs. Il y est question de partir s’isoler sur une île privée, loin des fake friends et des haters dans le style d'Anthony Fantano ou de la personne qui écrit ces quelques lignes. Gunna semble fatigué, plus amer aussi, et vraisemblablement prompt à l’introspection. Le grand succès qu’il a rencontré ces dernières années semble l’avoir marqué, et pas que pour de bonnes raisons. Sa peur de la solitude (« die alone »), ses problèmes dus à sa surconsommation de lean (« living wild ») ou une rupture douloureuse (« missing me ») sont des thèmes que Gunna aborde de manière prosaïque, en limitant même ses jeux de mots sur ses passions pour le luxe et les plaisirs charnels. Une fois que la légèreté qui caractérisait jusqu’alors sa musique s’estompe, ses faiblesses (tant au niveau du flow que de l'écriture) se révèlent alors au grand jour et rendent ces morceaux au mieux anecdotiques, au pire ennuyeux. Pire : lorsqu’il retombe dans la fanfaronnade, ses couplets s’avèrent encore plus douteux que d’habitude. Tout semble alors plat, dénué de cet humour qui l'aidait autrefois à faire illusion. Même lorsqu’il prend le temps de célébrer sa réussite, il le fait de manière si monotone qu’il donne l’impression qu’il va prendre sa retraite à la fin de l’album (« so far ahead > empire »). Au milieu de ce marasme, seul « pushin p » avec le patron Young Thug n'appartient pas à la team rompiche, mais c’est sans doute involontaire : le Gunna qui découvre les allitérations en P est tellement ridicule qu’il en devient hilarant.
Quant aux productions réalisées en majeure partie par son fidèle collaborateur Wheezy, elles ne parviennent pas à rehausser le niveau général de l'album, tant Gunna manifeste de la mauvaise volonté pour en faire quelque chose de correct. Il y a pourtant des choses intéressantes à découper, comme le sample du morceau « Why Me Baby? » de Keith Sweat et LL Cool J sur « livin wild » qui donne un peu de chaleur à l’album ou la production métallique de Mike Will Made It sur « thought i was playing », très intéressante et magnifiée par un 21 Savage dans une forme resplendissante. Saluons aussi le travail de Metro Boomin et Southside sur « poochie grown », car ils semblent avoir réussi pendant quelques secondes à réveiller Gunna de ses interminables siestes. On prend alors un malin plaisir à l’entendre poser des fébriles « yeah, yeah, yeah, yeah, yeah ? » pour reprendre ses repères et enfin commencer à kicker, avant de replonger aussi sec dans les bras de Morphée. Just dodo it.