Dry Marks of Memory
Villeneuve
Tandis que nos amis prescripteurs de chez Pitchfork n'ont qu'à apposer un petit label "Best New Music" ou une note supérieure à 8.5 pour que décolle la carrière internationale d'un groupe jusque là habitué à l'anonymat, des publications comme Goûte Mes Disques, ne disposant pas du même poids critique, se doivent d'enfoncer le clou par tous les moyens possibles pour convaincre leurs lecteurs du bien fondé de certaines affirmations.
Ainsi, vous dire que la scène "alternative" française se porte à merveille et coller un joli 8/10 au dernier disque de Villeneuve ne risque pas d'affoler les ventes d'albums de ce jeune et talentueux Parisien. Pourtant, tout le mal que l'on peut souhaiter à ce Dry Marks of Memory, c'est qu'il s'écoule par camions entiers et participe à l'éclosion hors des frontières hexagonales d'une ribambelle d'artistes qui le méritent amplement – on pense par exemple à des groupes comme Exsonvaldes ou Baden Baden.
A première vue, il faut bien reconnaître que ce nouvel album de Villeneuve ne part pas avec les faveurs des bookmakers. Il s'agit déjà pour notre homme d'un second effort, après un First Date en 2005 qui n'a pas vraiment bouleversé les foules, tandis la bio du bonhomme nous parle de collaborations avec Christophe Willem ou Anaïs – même si elle mentionne quelques mots plus loin des accointances, plus recommandables celles-là, avec M83 ou Agoria. Et puis, pour couronner le tout, Villeneuve invite sur un titre de l'album le propret Ozark Henry, dont la pop scolaire ne séduit plus depuis belle lurette.
Et pourtant, malgré un passif certain, le dénommé Benoît de Villeneuve balaie en dix plages d'une fascinante richesse tous les préjugés cités plus haut. Homme de goût et d'ouverture, Benoît de Villeneuve a beaucoup de chance: il a trouvé sur Dry Marks of Memory la formule magique qui lui permet de jongler avec une insolente facilité avec les genres sans laisser chez l'auditeur ce sentiment désagréable de patchwork indigeste. En brouillant les pistes de la sorte, ce compositeur/chanteur/arrangeur/ producteur peut ainsi s'effacer derrière de bien beaux modèles (Explosions in the Sky, Brian Eno, Wilco, Air, Yo La Tengo) pour laisser son imaginatif prendre la poudre d'escampette et s'épanouir dans un cadre qui n'a rien de formaté.
Entre envolées post-rock d'une beauté fracassante, divagations instrumentales prégnantes, volutes électroniques aérées et pop cinématographique racée rehaussée de voix (notamment féminines) qui ont le bon goût de ne pas en faire des caisses, Dry Marks of Memory évite avec une aisance remarquable le piège de l'hommage aseptisé pour accoucher d'un album conçu pour s'inscrire dans la durée et faire comprendre à qui veut bien l'entendre que Benoît de Villeneuve a les épaules suffisamment larges pour porter avec fierté ce deuxième album au-delà des frontières. Best New Music? Tu l'as dit, bouffi!