Drunk

Thundercat

Brainfeeder – 2017
par Amaury, le 19 mars 2017
6

Drunk vient directement gonfler le rang des albums qui traînent sur le rebord de nos bacs ou dans le fond d’un dossier iTunes, attendant le moment d’écoute adéquate – l’humeur qui parviendra à percer ses secrets. Pour l’instant, il reste une énigme. Alors qu’on admire le travail passé de Thundercat, on ne parvient pas à rentrer dans ce disque. Cette volonté de le conserver dans un coin de mémoire découle évidemment de la réputation du bassiste californien, mais aussi du discours d’escorte qui a entouré la sortie de l’album : puisque tous chantent au génie, il se pourrait que l’on ne parvienne pas encore à l’appréhender. Ça arrive.

Mais on est tout de même capable de trancher objectivement, après une immersion respectable. Drunk est un disque ennuyeux. Il essaye d’en foutre plein les yeux, au point d’en oublier sa nature sauvage. Comme une poignée de disques jazz, il existe surtout pour que son créateur se touche la basse à foison, afin d’épater les copains jaloux. Alors, on se veut un peu iconoclaste en formulant ce constat, certes, parce que Drunk est aussi un très grand disque et pas seulement au niveau de son tracklisting. Il propose une sensibilité unique qui l’associe au jazz sans permettre de le classer dans ce genre.

C’est justement ce point qui nous autorise à le critiquer avec plus d’âpreté. Très proche du travail de Mayer Hawthorne, la formule « pop » ou « fusion » que Thundercat imprime à sa musique est beaucoup trop collante. Bien qu’elle soit si particulière, entre la finesse et la profusion des sens, elle ne décolle ou ne s’écrase jamais. L’ensemble des 23 titres, au format relativement bref de 3 minutes environ, forme un seul souffle épique qui s’étire le long du disque sans proposer de rupture réelle – on les connaît ces petites variations jouissives, mais ici elles ne sont pas suffisantes pour pouffer de plaisir.

Même la folie de « Uh Uh » reste cadrée par ce chemin de fer qui s’élance au travers de l’album. Il faut du coup patienter durant 5 titres assez fades pour que « Lava Lamp » délivre enfin le premier groove plus naturel, talonné par le rayonnement de « Jethro ». Et quand le fulgurant « Day & Night » débarque, l’explosion fantasmée s’éteint comme un pétard mouillé. Elle est là pourtant, mais le titre de 37 secondes disparaît sur un fondu de frustrations. Heureusement, les collaborations viennent apporter les quelques coups de sang salutaires qui font tourner le disque sur une autre énergie. Encore que. Si Michael McDonald fait dérailler la locomotive avec classe sur « Show You The Way » et si Wiz Khalifa l’alimente comme un cador avec « Drink Dat », Kendrick Lamar tend beaucoup plus à être aspiré par les vapeurs épaisses de « Walk On By », malgré son inégalable élégance laid-back. Et question brouillard, Pharrell Williams se perd définitivement dans les volutes de « The Turn Down ».

Il y a de trop et pas assez sur ce disque. On aurait préféré que Thundercat conçoive son travail personnel sous des aspects similaires aux modulations dont il se pare lorsque l’artiste enfile ses casquettes de collaborateur ou de producteur. On aurait même préféré qu’il divise encore sa plaque en plusieurs EP bien disséminés. Et c’est peut-être comme ça que l’on finira par apprécier Drunk, comme un Juke-box capable de délivrer à l’envi quelques titres excellents sur un catalogue dont on ne voit pas la fin.