Drum's Not Dead
Liars
J'avoue avoir du mal à comprendre Angus Andrew, leader des Liars, lorsqu'il annonce que sur ce nouvel album, le groupe s'est fixé pour objectif de "faire simple et de produire quelque chose d'un peu plus traditionnel". Car "traditionnelle" ou "simple", la musique du trio new-yorkais est loin de l'être. Il faut savoir que Liars est un groupe unique à bien des égards. Unique tout d'abord de par la musique qu'il pratique (mais nous allons y revenir) et unique surtout parce qu'il est l'une des rares formations pouvant se permettre de créer une musique aux frontières de l'expérimentation sauvage tout en bénéficiant d'une exposition médiatique -le groupe faisant partie du giron EMI- cent fois supérieure à celle de ses camarades de jeux que sont par exemple les allumés de chez Paw Tracks. La "faute" à qui ou à quoi? A des débuts remarqués et à une assimilation rapide à la lame de fond estampillée dancepunk qu'un single incendiaire comme "Mr. You're On Fire Mr." avait rendu inévitable.
Depuis ces débuts fracassants, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et le groupe a lentement replongé dans un anonymat tout relatif dont il ressort aujourd'hui avec beaucoup d'originalité. On mentionnera surtout ce changement de line-up qui allait précéder un disque inspiré par le culte des sorcières allemandes (They Were Wrong, So We Drowned) et pour lequel l'accueil fut pour le moins mitigé. Pourtant, malgré ses défauts, il s'impose aujourd'hui comme une étape essentielle dans la carrière du groupe et comme la tête de pont nécessaire entre la musique rageuse des débuts et les hymnes viscéraux pondus par le groupe en 2005.
D'Allemagne, il en est encore question aujourd'hui puisque c'est à Berlin l'austère que le groupe s'est retranché pour enregistrer ces douze titres. Contrairement à des débuts plus accessibles, la musique des Liars n'est plus aujourd'hui de celle que l'on écouterait d'une oreille distante. Elle nécessite même une attention et une concentration de tous les instants, au risque de déclencher une certaine exaspération chez l'auditeur. Particulièrement axées sur un travail rythmique évoquant parfois une transe presque chamanique, les compositions du groupe sont souvent sombres, plongeant le cerveau dans une sorte d'état second, l'entourant d'un épais voile de fumée l'empêchant de s'extraire d'un univers obsédant à souhait. Tiraillée entre une section rythmique brutale, presque préhistorique, et des nappes de guitares plus aériennes, la musique des Liars rôde en eaux troubles pour n'entrevoir la lumière que le temps d'un morceau renversant et anormalement traditionnel, le magnifique "The Other Side of Mt. Heart Attack" qui clôture cet album.
Témoin ultime d'une démarche artistique aussi radicale qu'atypique, le DVD fourni avec le disque reprend trois versions filmées de Drum's not dead pour plus de deux heures d'images et de bidouillages visuels en tous genres. Petit chef-d'œuvre ou interminable séance de masturbation intellectuelle, libre à chacun de se faire sa petite idée sur la question. Il n'en reste pas moins qu'à une époque où l'uniformisation culturelle se radicalise, une musique comme celle des Liars, aussi absconse puisse-t-elle être par moments, représente du seul fait de son existence, un sacré bol d'air frais.