DropTopWop
Gucci Mane
Depuis que je ne dépend plus du RER, je suis devenu un autre homme. Un homme qui philosophe plus précisément. En fait, je réalise à quel point, au lieu de fustiger le métro parisien, on ferait mieux de le remercier. En tout cas, au moins pour ses formidables qualités de connecteur social: combien de belles rencontres, de belles histoires d'amour, d'histoires incroyables et de lits de fortune se sont créés grâce à des grèves ou des derniers métros ratés ? Et plus important encore, combien de rappeurs ont fait de belles chansons sur ce seul sujet ? J'ai personnellement cessé de les compter.
Gucci Mane, justement, est comme les transports parisiens. Tout comme tu peux laisser passer un métro sans craindre d'être en retard, tu peux tranquillement faire l'impasse sur quelques projets sans être à la rue sur ta connaissance du répertoire de Guwop. Et tout comme le métro parisien, sa musique est un puissant vecteur de sociabilisation: un fan de Gucci Mane n'aura jamais le même best of qu'un autre fan de Gucci Mane, pour la simple raison que deux fans de Gucci Mane auront rarement écouté les mêmes disques, aux mêmes moments de leur vie et de sa carrière. La densité de sa musique est telle que la prétention de tout connaître est devenue aussi stérile que d'apprendre les correspondances des treize lignes de métro par coeur. Surtout qu'au final, on retombe toujours sur nos standards, nos stations de prédilection, nos titres préférés.
Ce rythme effréné est aussi la raison pour laquelle on se prive soigneusement de couvrir chacune de ces sorties: il est nécessaire de remettre sur un rail une discographie qui n'en a strictement aucun, pour un type qui en 2017 est devenu résolument bigger than life. Car il faut le rappeler, Radric Davis vient juste de fêter le premier anniversaire de sa sortie de prison. Et outre sa fantastique transformation musculaire, il a déjà sorti pas moins de quatre projets en solo et deux collaborations avec Future et Lil Uzi Vert. Et tous ces disques, absolument TOUS, ont d'énormes qualités. Il a aussi fait un concert piano-bar à New York où il revisite quelques uns de ses plus gros hymnes avec Zaytoven au piano. Merde, il y a même un titre de Bruno Mars avec lui, et il sort une autobiographie à la rentrée. Bref, cette année, c'est son année: le rappeur d'Atlanta au cône à glace sur la joue est partout, et il profite d'un regain d'attention bien mérité. Et d'une aura puissamment inspiratrice, aussi: j'ai dix ans de moins que Gucci Mane, et j'espère parvenir a être aussi frais que lui au même âge. Mais tout ce que j'arriverai probablement à faire, c'est réussir à admettre publiquement que les chaussures bateau sont confortables, alors qu'elles sont à peine plus esthétiques que des babouches.
DropTopWop a en tout cas la carrure d'un vrai événement dans la discographie du rappeur d'Atlanta pour au moins deux raisons: déjà, il y a sa couverture qui s'inspire directement de Lord Willin de Clipse - et rappeler à l'existence de ce premier disque n'est jamais une mauvaise chose. Ensuite, parce que le projet est orchestré par Metro Boomin, producteur dont Guwop a largement contribué à l'exposition avant son incarcération, et qui a prouvé plus récemment ses qualités de producteur exécutif sur le Dirty Sprite 2 de Future et le Savage Mode de 21 Savage. Et pour leurs retrouvailles, rien n'est trop beau: pas même de prendre l'habit noir et d'embarquer pour le poste de veille de la garde de nuit de Game Of Thrones. Sur ces dix titres en tout cas, Gucci Mane renoue avec son passif de rappeur de trap house, et ressuscite le souffle so icy de ses fulgurances trap les plus glaçantes, façon Trap God 2. Résultat: les basses résonnent comme dans une forteresse de glace, les mélodies sont si cristallines qu'elles ont l'air d'être jouées sur des stalactites, et Guwop exécute des moonwalk gracieux dans la toundra.
Tu l'as compris: en dépit de son impact sur la pop culture mesuré ces derniers mois, Gucci n'a pas l'intention de changer d'un iota une recette dans laquelle il ne cesse d'exceller. Et c'est sans doute pour son infatigable constance qu'on l'adore, avec cette musique quelque part entre le rappeur en pilote automatique et l'artisan maître de sa recette. C'est d'ailleurs à la seule force de cette cadence de travail industrielle qu'il peut se permettre une absence totale de tournée promo, de calendrier, et même de clip si ça le chante: le seul fait de sortir un projet est déjà un événement en soi. Et DropTopWop, tu l'as bien compris, ne déroge pas à la règle, puisque c'est une énième réussite à mettre à l'actif de la superstar d'Atlanta, et une raison supplémentaire de se réjouir de son passage en Europe cet été - malgré le risque d'être confronté à un showcase un peu rincé. Tant pis: depuis le temps, on a fini par comprendre que dans un concert de rap, la déception fait partie intégrante du spectacle.