Dreams Worth More Than Money
Meek Mill
Suivre l’actualité et l’évolution du rap américain peut être une activité gratifiante et enrichissante à condition d’abandonner toute vie en société pour passer le plus clair de son temps sur Datpiff, WorldStarHipHop et Audiomack. Car c’est principalement sur ces trois plateformes que des carrières prennent leur envol, dopées par les clics d’une communauté qui a depuis longtemps arrêter de faire de l’album studio une sorte d’étalon-or.
Impossible (ou presque) de percer sans une mixtape sponsorisée par DJ Drama, quelques singles qui explosent les compteurs ou des apparitions à répétition chez les copains qui pèsent des millions - de dollars, de vues sur Youtube ou, dans le cas de DJ Khaled, de kilos. C’est pendant ces années formatrices où la liberté de ton est de mise que des identités se forgent, des personnalités bien trempées émergent. Après, c’est inévitable: les majors mettent la main au portefeuille et, à quelque exceptions près, l’inertie et les dollars font le reste - entendez par là une carrière honnête mais paresseuse, entrecoupée de coups d’éclats dont la fréquence grandit avec les années qui passent.
Cette démarche, un gars comme Meek Mill en connait tous les rouages. Been there, done that, drank the Cristal, got the bitches. Intégré en 2011 au Maybach Music Group de Rick Ross grâce à son flow de mort de faim et une paire de mixtapes hargneuses, Meek Mill a dans la foulée livré un premier album studio officiel (Dreams and Nightmares) respectant l'habituel cahier des charges: un gros casting pour une version édulcorée des trucs qui agitaient l’underground à l’époque. Une chouette ligne sur le CV en somme, avec le thumbs up des pontes de chez Warner pour les bonnes ventes. Trois ans plus tard, on reboucle la boucle: après avoir distribué les torgnoles avec les mixtapes Dreamchasers (on vous recommande chaudement la troisième itération), le kid de Philadelphia se doit d’honorer son contrat et nous pondre un album qui sera une copie-carbone un peu actualisée de son premier effort.
On a donc foutu Rick Ross à la production exécutive (ça lui permet de passer une nouvelle fois à la caisse), qui n’a probablement eu aucun de mal à convaincre tous ses copains de venir pousser la chansonnette. Dans un milieu qui frôle la consanguinité, il n’est pas compliqué de connaître les invités de ce genre de grosses sorties puisqu’on puise invariablement dans un pool d’une vingtaine de personnes dont la composition évolue au gré des hypes. Cette fois, Meek Mill s’offre les services de Diddy, Nicki Minaj, The Weeknd, Drake, Jeremih ou Future (qui est en train de devenir le 2 Chainz de 2015!). Aux manettes, on croise aussi beaucoup de têtes connues, du trop rare Mr. Bangladesh au man of the hour Metro Boomin’ en passant par des valeurs sûres comme Boi-1da ou Southside. Bref, tous ces mecs qui ont trouvé une formule magique qui leur permet de chier de la production qui cartonne à des cadences qui rendent vert de jalousie n’importe quel patron de sweatshop bangladais.
Dans ce bordel finalement très organisé et incroyablement codifié, Meek Mill accouche d’un album dont on aurait pu écrire la chronique sans même avoir pris la peine de l’écouter: la technique est là, les productions sont impeccablement calibrées et la variété du casting ne nuit pas à la cohérence. Mais tout est tellement prévisible sur Dreams Worth More Than Money qu’on est en droit d’attendre une volée de tubes imparables pour justifier l’existence d’un tel objet - ce qui Big Sean avait bien compris sur Dark Sky Paradise. Et à l’évidence, il se font plutôt rares les tubes. En fait, il faut même un peu chercher pour les trouver - le banger rageur « Check » à n’en point douter, « Lord Knows » et sa production altière peut-être, le « Beat That » taillé sur mesure pour le flow traînant de Rozay à la limite. Bref, ça rentre par une oreille et ça sort par l’autre à trop vouloir jouer la carte du plus petit dénominateur commun. Vivement le retour à la case mixtapes...