Down In The Weeds, Where The World Once Was
Bright Eyes
On n'hésitera pas à dire haut et fort que LIFTED (2002) et I'm Wide Awake, It's Morning (2005) constituent non seulement deux albums majeurs dans la discographie de Bright Eyes, mais qu'il s'agit surtout de deux albums phares dans l'indie folk du début des années 2000. Pour de nombreux teenagers, le groupe formé par (et autour de) Conor Oberst a représenté une véritable bible musicale, miroir de l'introspection et de la torture que peut représenter la période ingrate de l'adolescence. La suite ? Le temps a passé, les teenagers ont grandi et ont souvent gardé une oreille sur ce qu'a fait Oberst sous son nom ou sous un autre. Mais jamais ils n'ont retrouvé la sensation de proximité ressentie sur les deux albums précités. Down In The Weeds, Where The World Once Was arrive près d'une décennie après le dispensable The People's Key et d'une certaine manière, on a l'impression que pour Bright Eyes rien n'a changé, mais que tout a changé.
Premier constat rassurant, l'inimitable Conor Oberst est toujours à la manœuvre et sa voix n'a pas bougé d'un poil. Toujours la même charge émotionnelle, toujours la même mélancolie. Une continuité poussée jusque dans ce monologue introductif régulièrement utilisé sur les précédents disques de Bright Eyes. On se sent envahi d'un sentiment réconfortant. Celui d'être en terrain connu et qu'en réalité, les choses n'ont pas changé autant qu'on voudrait le croire. D'abord enjoué sur une ambiance de piano-bar du début de siècle, le morceau dérive pourtant rapidement vers quelque chose d'angoissant. Après plusieurs écoutes, on finit par penser qu'il y a un côté prémonitoire dans cette introduction et que peut-être sans le vouloir, elle véhicule un sentiment étrange d'inconfort qui ne nous quittera plus.
L'album donne à voir deux visages des talents de composition de Conor Oberst. S'il semble évident qu'il n'a absolument pas besoin de forcer son talent pour raviver la flamme, on lui en veut de ne pas le faire un peu mieux. C'est égoïste mais on en veut à Bright Eyes d'avoir troqué ses chansons sincères pour des morceaux souvent patauds et trop léchés. Le vrai problème dont souffre Down In The Weeds, Where The World Once Was, c'est qu'il s'appuie sur une production bien trop soignée. Tous ces artifices qui gonflent l'album écartent à chaque fois un peu plus Bright Eyes d'un propos authentique. "Just Once In The World" est écoeurant, "Mariana Trench" est naïf et "One and Done" est beau mais chiant. En réalité, il faut attendre la huitième piste pour atteindre la délivrance. Car si la première partie est ingrate, la deuxième vaut l'attente.
On aimerait pouvoir écouter Down In The Weeds, Where The World Once Was comme si c'était la première fois qu'on écoutait Bright Eyes. D'une manière très juste, l'excellent magazine New Noise disait à propos du dernier album des Pixies qu'il serait certainement considéré différemment si le groupe débarquait aujourd'hui comme n'importe quelle formation en vogue issue de Boston. Leur problème, et ils le partagent avec Bright Eyes, c'est d'avoir été prolifiques et mieux encore, excellents dans le prolifique. Leur seul défaut à ces grands groupes, c'est d'avoir composé de gigantesques albums qui resteront des points de comparaison. Alors non Down In The Weeds, Where The World Once Was n'est pas un mauvais album, mais il est tellement loin des productions précédentes qu'on se trouve le droit d'en sortir insatisfait. On n'en veut pas, on n'en voudra jamais à Bright Eyes et peut de groupes réussiront à faire cohabiter de manière si élégante la joie et la tristesse, la peur et l'optimisme, mais il faut faut se rendre à l'évidence: on a grandi et c'est pas grave.