Double Negative
Low
Double Negative, ce titre d'album est-il une référence à la fameuse "double négation" que Donald Trump a utilisée comme excuse pour masquer ses errements face à Vladimir Poutine lors d'un récent sommet international ? Toujours est-il que ce nouveau Low est résolument ancré dans son espace et son temps: l'Amérique crépusculaire d'un président inconstant et traumatisant pour ses pairs. Si l'on se fie aux titres des morceaux ("Dancing And Blood", "Dancing and Fire", "Tempest", "Rome (Always in The Dark)"...), Double Negative est un disque de fin du monde. Ou de fin d'un monde. Pour Low il est peut-être le disque de la fin d'un style: le slow core, quand bien même les américains n'ont jamais assumé ce genre dont ils sont pourtant les chantres. Le nouveau Low est schizophrène: à la fois doux et rêche, et avant même de s'attarder sur les compositions et les mélodies il est déjà fascinant de se plonger dans l'enveloppe sonore de l'album qui enveloppe et agresse à la fois.
Le disque débute par un motif lancinant et abrasif, dont on dirait qu'il est dû au frottement de matière minérale sur les bandes, et il faut que la voix d'Alan Sparhawk, étouffée mais reconnaissable, résonne enfin au bout d'une longue minute pour que l'on soit certains de ne pas avoir pas posé sur la platine par erreur un vieil exemplaire de Metal Machine Music. Dépouillés à n'en plus finir, les morceaux sont structurés autour de batteries décharnées scandant un tempo qu'on dirait marcher à reculons, de chœurs passés au papier de verre, et de nappes en retrait qui ne se révèlent que quand tous les autres sons s'arrêtent. Si l'on excepte le sublime "Fly" qui met en avant la vois cristalline de Mimi Parker, et le calme "Always up", tout n'est que distorsions et saturations, faisant de l'opus une proposition forte et détonante, même pour un groupe aussi avant-gardiste que Low.
A force d'écoute on se surprend à rapprocher Double Negative d'un autre grand album malade, le Yeezus de Kanye West, dont il partage une forme d'identité et un son dur, si dur à apprivoiser, qui ne s'ouvre et ne dévoile ses subtilités entre les aspérités qu'à force d'écoutes. Un disque qu'on aura à chaque fois du mal à réécouter sans une période d'acclimatation, pour lequel il faudra faire montre d'une forme d'abnégation pour en capter l'essence. Et comme Yeezus dont la contribution de Rick Rubin avait contribué à façonner la dureté et le minimalisme, c'est ici aussi l'implication d'un membre extérieur au groupe qui a changé la physionomie du disque par la dureté de la production: BJ Burton, qui est intervenu ici à tous les niveaux de l'enregistrement, du mix et du mastering.
Le producteur qui était déjà aux manettes sur le précédent effort du groupe, l'excellent Ones and Sixes, prend une nouvelle dimension sur cet album pour lequel il s'est même impliqué dans l'écriture, et qui rappelle beaucoup 22, A million, également produit par ses soins. Mais là où la dernière livraison de Bon Iver était solaire, Double Negative est lunaire, recroquevillé sur lui-même et sur les démons qu'il abrite en son sein. De la longue minute de chœurs agonisants qui clôturent le fantastique "Dancing And Blood" à l'arythmie de "Disarray" en passant par les textures déchirées de "Tempest", rien n'est facile dans ce disque qui ne s'offre pas aisément et qui s'impose comme la remise en question la plus forte et la plus marquante d'un groupe qui n'est pourtant pas vraiment connu pour tomber dans la facilité. Sans tourner les talons à sa riche discographie mais en faisant preuve de radicalité, Low fait de ce douzième album le manifeste d'une quête de sens et d'un peu de lumière dans des temps sombres.