Dolziger Str. 2
Odezenne
"Déjà la fin, et j'ai rien vu
Comment on fait pour comprendre?"
Ces deux phrases, issues du morceau "Un corps à prendre", résument parfaitement l'état d'esprit ressenti par l'auditeur lambda après l'écoute du dernier album d'Odezenne. Une forme d'incompréhension, vis-à-vis de textes volontairement opaques, tendant vers un surréalisme contemporain, qui se développent sur des instrumentales d'un rétro assumé, dans la lignée de l'EP Rien. Une frustration terrible à la fin d'un album bien trop court. Et surtout, une perplexité inévitable qui découle de tout cela. Mais les bons albums ne sont-ils pas de ceux qui posent des questions sans jamais vraiment y répondre ? Si Dolziger Str. 2 désoriente autant, c'est peut-être aussi par le refus du groupe d'être catalogué comme groupe de rap. Sans vouloir tomber dans les formules creuses, il est vrai que l'on a pourtant du mal à vraiment déterminer l'objet musical auquel nous sommes confrontés. Plus encore que Ovni, leur précédent album, le groupe a pris soin de s'éloigner de toute possibilité de catégorisation définitive.
Alix et Jaco sont les deux voix qui portent l'auditeur. Jamais positionnés comme maîtres de cérémonie, leurs textes s'écoulent avec fluidité et sont en parfaite harmonie avec les instrumentaux qui les portent. En effet, Dolziger Str. 2 se caractérise avant tout par sa parfaite cohérence et par l'harmonie qui règne en permanence : textes comme instrumentaux ne se répètent jamais et sont en évolution perpétuelle. Loin des carcans habituels des chansons à textes et de l'éternelle alternance couplet/refrain, Odezenne surprend continuellement et nous donne à entendre et à voir un univers très marqué. On l'aperçoit, au détour d'une de ces phrases si opaques de Jaco ("danser près de la mort au pied de ta maison"), dans un synthétiseur aussi surprenant qu'émouvant (celui de "Vilaine", qui transforme l'atmosphère pesante du début en harmonie teintée d'inquiétude).
Cette opacité affichée peut rebuter. Mais ce serait une erreur d'écouter Odezenne comme on écoute n'importe quel groupe de rap : c'est un groupe qui (ré)interroge les limites entre rap et poésie. Ce n'est pas du rap car aucune des postures habituelles du genre n'est affichée. Et pourtant, indéniablement, Alix et Jaco posent leurs textes à la manière des rappeurs, faisant varier les flows et leur énergie avec habileté. Du calme reposant de "Cabriolet" à l'énergie de "Boubouche", on ne peut que reconnaître leur efficacité dans le maniement de leur voix. Ce sont ces textes, flirtant avec le surréalisme, volontiers plus techniques que vraiment compréhensibles, qui démontrent véritablement la liberté du groupe vis-à-vis des contraintes du rap : poèmes tantôt désespérés, tantôt mélancoliques, parfois drôles, ils contribuent tout autant que les synthétiseurs auxquels ils sont associés à créer ce monde si particulier, baignant dans une esthétique rétro dérangée.
Dolziger Str. 2 se trouve dans la continuité de ses prédécesseurs : il continue de développer cet univers si particulier, évoluant dans des directions toujours nouvelles, toujours intrigantes. Marqué par une forme de minimalisme et d'âpreté, ce disque est d'une spontanéité et d'une originalité particulièrement appréciables. Et même si l'on reste hermétique aux textes, force est de constater que leur musicalité et l'effort manifeste pour surprendre et sortir des schémas habituels dans la construction des morceaux fait de cette œuvre une ode à la liberté créatrice. Il n'y a pas qu'une manière de comprendre ce groupe et cette pluralité d'interprétation constitue une part essentielle du plaisir lié à l'écoute de Dolziger Str. 2.