Dogsbody
Model/Actriz
À la vitesse où décollent des carrières en 2023, il n’est pas rare qu’entre le moment où sort un album et celui où débute la tournée, un artiste ait pris une dimension inattendue. Et il n’est donc pas rare d’être le témoin d’une première partie qui laisse entendre qu’il ne faudra pas longtemps avant que la hiérarchie sur l’affiche s’inverse. C’est ce sentiment qui a parcouru les membres de l’équipe qui étaient présents dans l’Orangerie du Botanique, qui accueillait récemment Gilla Band, chantres d’un post-punk angoissant. Pour l'accompagner sur cette tournée européenne, le groupe irlandais avait choisi de se faire épauler par Model/Actriz. Une décision maline, vu que le groupe new-yorkais est inscrit sur les tablettes de tous les suiveurs des scènes post-punk et noise. Une décision dangereuse aussi, car le groupe s’est bien fait voler la vedette. Alors pourquoi est-ce que Model / Actriz doit être considéré comme une vraie « next big thing »? Parce que tout est parfait chez ces jeunes gens.
D’abord, cette musique dégage quelque chose d’excitant, qui fait que l’on ne sait jamais ce qui nous attend au tournant – en ce sens, les comparaisons récurrentes avec les années formatrices des Liars sont tout à fait justifiées. Chaque morceau ressemble au précédent, mais l’angle d’approche est sans cesse renouvelé, conférant au disque une fraîcheur inédite – et cela malgré une ambiance globale que l’on qualifiera plutôt de suffocante. Ce côté imprévisible est renforcé, pour ne pas dire décuplé, par la performance magistrale du chanteur Cole Haden, capable de passer en quelques secondes seulement d’un râle sensuel à une grognement inquiétant – et quand les deux se télescopent, il nous rappelle les heures les plus flippantes de Jonathan Davis au sein de KoRn. Mais sa prestation pourrait être très gênante s’il n’était pas épaulé par un duo basse – batterie d’une efficacité redoutable, dont le jeu s’inscrit à la croisée des chemins entre le post-punk de Wire et l’indus de NIN, et une guitare dont le seul et unique rôle consiste à procéder par lacérations systématiques des tableaux minutieusement pensés par le reste du groupe.
Cet album de Model/Actriz nous amène à des conclusions similaires à celles que l’on tirait pour le dernier album de Godcaster : remarquable pour ses singles (les bombes sales « Crossing Guard » et « Mosquito ») comme pour le KO debout que suscite une écoute globale, Dogsbody confirme la santé éclatante d’une scène alternative US qui parvient à recycler tout un pan du patrimoine bruyant de manière originale et avec une énergie qui n’est assurément pas celle du désespoir. Et même si le tableau dépeint par ces deux formations est souvent bien sombre, leur avenir, lui, offre de lumineuses perspectives.