DNK

Aya Nakamura

Rec. 118 – 2023
par Yoofat, le 7 février 2023
7

Il est toujours bon de rappeler l'évidence : Aya Nakamura est une star. Une vraie, de celles qui n'explosent pas en plein vol après deux tubes. Dans le game depuis huit piges, la chanteuse, à l'instar d'autres immenses stars comme JuL ou PNL, a été moquée, raillée, tournée en ridicule par la majeure partie de l'intelligentsia française avant de finir en couverture du Monde (et quelle couverture), d'enchaîner les partenariats et d'être, encore aujourd'hui, l'artiste tricolore la plus écoutée à l'étranger. Le style Aya Nakamura, qu'on l'aime ou non, fait pleinement partie du paysage musical francophone, et chacune de ses sorties est l'occasion de disséquer le phénomène.

Le démarrage de DNK est certes plus timide que les albums Aya (2020) ou Nakamura (2018), mais il est certainement l'effort le plus remarquable de son autrice. Le mode opératoire reste le même : les relations homme-femme, le "comportement", le niveau de langue très familier venant du bas des tours, de l'afrobeat, du "whinage" à fond la caisse, un peu d'Amérique et une petite dose de sentimentalisme mielleux. On fait donc proprement la synthèse de ce qui fait Aya, mais on y ajoute une confiance et une assurance qui crèvent le plafond et donnent à son interprétation une valeur essentielle à son évolution. Qu'elle semble loin, l'époque de "Comportement", le morceau qui avait instantanément fait d'Aya Nakamura l'ambianceuse en chef de la pop francophone. La nouvelle Aya est géante et nous donne l'impression d'avoir avalé tout cru l'interprète en proie au doute qu'elle était auparavant.

Bien plus assertive donc, Aya Danioko de son vrai nom (d'où le titre de l'album) s'amuse à maintes reprises de l'effet qu'elle provoque sur les hommes. Ils bégayent, bavent, se remettent en question quand elle danse et fait la go. Non, Aya n'est toujours pas Oxmo Puccino quand il faut discuter de la profondeur ou même de la qualité de ses textes. Mais sa prosodie, très légère et lacunaire, colle à ses chansons. Le refrain de "Baby", simple et concis, est tellement jovial qu'il nous donnerait presque l'envie de devenir la Baby de quelqu'un. Quand elle répète "corps à corps" sur le suave "Tous les jours", là encore, le propos est auto-réalisateur, et c'est notre corps qui répond à ses paroles. Comme des échanges entre Xavi, Iniesta et Sergio Busquets, l'exécution est simple, mais le résultat est prodigieux. Il nous fait tout particulièrement plaisir sur ces pistes où la danse, l'amusement et une forme d'egotrip sont mis en avant.

Textuellement, ce qui s'avère plus problématique chez Aya Nakamura comme chez Dadju, TayC ou Kaza, c'est ce rapport assez pervers aux relations toxiques. Quand certains se vanteraient presque que leurs agissements constituent un danger pour l'intégrité physique et psychologique de leur partenaire, quand d'autres cherchent à isoler l'être "aimé" de ses proches (ce que fait SDM au détour d'une rime sur "Daddy" quand il dit "Écoute pas tes copines, non, non, trop parlé, maintenant, faut qu'on agisse"), d'autres, comme Aya, perçoivent cette toxicité, la reconnaissent et la nomment sans pour autant chercher à l'éviter. Pire encore, on plonge tête la première dedans. Ce n'est évidemment pas le cas de tous les artistes de cette génération et il est toujours bon de citer Ocevne et son excellent "Toxic Boy" sorti l'an dernier, dans lequel la Suissesse détaille non sans douleur les étapes à laquelle elle a été confrontée le temps de sa relation.

On a envie de croire que l'outro de DNK est une réponse à "Corazon", morceau d'introduction de DNK. C'est sur ce titre que la figure majestueuse d'Aya chancelle le plus, mise à mal par un partenaire qui la fait souffrir, douter d'elle-même et dont elle semble ne plus pouvoir se passer. Émouvante comme elle l'a rarement été, on peut toutefois s'inquiéter de cette forme d'amour "plus forte que tout" qui se chante de plus en plus facilement sans prendre la vraie mesure de ce qui se raconte. C'est pour cela que l'on veut croire que "Fin" répond à "Corazon", ce qui offrirait une conclusion plus lumineuse à cette sombre histoire sans doute inspirée du fait divers dans lequel elle était impliquée l'été dernier. Bien sûr qu'Aya, c'est le "Haut niveau", mais c'est précisément pour cette raison qu'on aimerait qu'elle montre aussi l'exemple sur des sujets aussi sensibles et essentiels. 

Le goût des autres :