DJ-Kicks
Jackmaster
Parmi les activités les plus rentables dans l'actuel music biz, il y la profession de DJ. Longtemps cantonnés à la pénombre des clubs, ces héros des temps modernes sont désormais les forces motrices d'évènements de masses consacrés à la seule musique électronique (et ils pullulent en 2016), mais sont également présents dans la moindre foire au boudin un brin généraliste (notamment celles qui n'avaient que peu d'égards pour leur caste 10 ans plus tôt), servant souvent de bouche-trous faciles dans une programmation qu'on veut faire tirer en longueur histoire de profiter au maximum des recettes du bar.
Et parmi les luxueux tous-terrains qui affolent les compteurs et alignent les cachets mirobolants, on trouve Jackmaster. Mais là où pas mal de DJ's à la renommée mondiale ont une hygiène de vie digne d'un footballeur professionnel, Jackmaster a toujours semblé un peu à part dans cet univers, cultivant une image de party animal et de petit rigolo - typiquement le genre de mec avec qui t'as envie de passer la soirée à boire trop de bières et raconter de bêtes blagues. Une attitude un brin débonnaire qui collait parfaitement à ses choix en tant que DJ et dont la plus évidente incarnation était son FabricLive.57 : 29 titres compressés dans 72 minutes d'un mix qui avait les défauts de ses qualités - la versatilité et l'énergie principalement.
Mais voilà, si l'Écossais continue d'amuser régulièrement la galerie, son personnage a su évoluer. Il faut dire que son agenda lui permet de s'amuser à enchaîner les classiques quand on joue devant les zoulous de Dour ou de Glastonbury, mais qu'un set à la Fabric ou au Berghain est aussi l'occasion de laisser parler son côté plus sensible. Et c'est justement cette facette-là que ce beau gosse de Jack Revill explore sur un DJ-Kicks impeccable en forme d'hommage aux trois villes qui ont façonné sa personnalité - Chicago, Détroit et Glasgow.
On croise bien l'une ou l'autre tête connue au tracklisting (Basic Channel, Ricardo Villalobos), mais c'est vraiment auprès des copains que Jackmaster est parti à la pêche aux nouveautés et aux inédits (Eliphino et Dennis Sulta se surpassent, ce dernier offrant un slow burner de toute première bourre), n'oubliant jamais de montrer qu'il passe son année à dégotter le truc qui mettra un dancefloor à genoux (le "Vena Cava" de Fango est imparable) ou de déposer discrètement des trucs plus anciens dont on avait peu ou pas entendu parler - quelle bonheur de découvrir avec des années de retard le Up All Night d'Eli Escobar, véritable manifeste de house new-yorkaise généreuse dans l'effort et riche en formes.
Dans cet enchaînement de perles house et techno que l'on prend un plaisir fou à découvrir, on pense aussi au double effet Kiss Cool procuré par le talent de Jackmaster, dont les enchaînements sont d'une élégance folle - ce qui semble assez logique vu que le principal intéressé a avoué devoir s'y reprendre à plusieurs reprises pour vraiment obtenir le résultat recherché. Au final, on se retrouve avec un DJ-Kicks en forme de réussite sur toute la ligne, d'une part parce que la série nous avait quelque peu déçus sur ces dernières livraisons (putain Moodymann quoi) et, d'autre part, parce qu'elle permet de valider complètement le succès d'un mec qui a opté pour un parti-pris osé : se limiter au métier de DJ et ne pas s'aventurer du côté de la production. Et un mix aussi abouti que celui-ci est probablement du genre à le conforter dans ses choix.