DJ-Kicks
Moodymann
Quand on lance un mix estampillé Fabric, on sait toujours à quoi s’attendre : une sélection de club à l’efficacité probablement redoutable, reflet assez fidèle de ces soirées qui ont permis de bâtir la légende de ce qui est aujourd’hui l’un des clubs les plus bankables de la planète.
Quand on s’aventure du côté du concurrent DJ-Kicks, c’est tout de suite une autre histoire : la marge de manœuvres est énorme, et on comprend vite que l’accent est mis sur des sélections davantage adaptées à une écoute domestique, permettant d’appréhender un producteur sous un jour nouveau. C’est cette marge de manœuvres qui a permis à des gars comme les Stereo MC's, Erlend Øye ou Four Tet de livrer des mixes impeccables à l'importante valeur ajoutée.
Forcément, quand c’est le nom de Moodymann qui est sorti du chapeau, la nouvelle a été accueillie avec un mélange de déception et de joie. Déception d’abord, car on aurait peut-être aimé croiser Kenny Dixon Jr. du côté de la Fabric, avec un mix de house capable de venir concurrencer les livraisons de Mark Farina, Cassy ou Luciano, pour en citer trois qu’on n’a jamais arrêter de poncer. Mais joie ensuite, parce que vu les connaissances encyclopédiques du natif de Détroit, on savait qu’on était entre de très bonnes mains.
Et ces connaissances encyclopédiques, elles sont mises au service d’un mix qui offre à l’auditeur une exploration par le détail de la musique noire américaine, dont Moodymann est par ailleurs l’un des plus fiers et imprévisibles ambassadeurs. Ne cherchez pas de démonstration de technique sur ce DJ-Kicks, il n’y en a pas. Quant au fil conducteur de la sélection, envoyez-nous un mail si vous avez des hypothèses crédibles à nous communiquer, parce qu'ici on nage dans la semoule. En effet, pendant 80 minutes, le producteur américain semble se foutre royalement de la cohérence de ses choix. Ce DJ-Kicks sera un enchaînement de beaux morceaux, et tant pis si cela se fera au détriment d’un certain plaisir d’écoute.
Quand on a bien intégré cette approche, on peut tenter de s’imprégner de la sélection, et là plus de doute : la bibliothèque musicale de Moodymann est immense, et chaque pépite a été sélectionnée avec amour, dans un désir véritable de partage. Parce que oui, on reconnaît bien l’un ou l’autre titre d'un artiste qui nous est familier, mais dans l’ensemble on a surtout le nez sur le tracklisting à peu près toutes les cinq minutes. On s’émerveille devant le flow délicieusement nonchalant de Dopehead (un bon pote à Danny Brown), on se dit que le titre de Talc aurait tout à fait eu sa place sur le Discovery de Daft Punk, on sa rappelle au bon souvenir de José Gonzalez ou on assume complètement notre part d’homosexualité avec les Kings of Tomorrow.
Pourtant, malgré le soin évident apporté à la sélection (et le nombre important d'édits exclusifs qu'elle contient), ce DJ-Kicks de Moodymann laisse un goût de trop peu en bouche. Cela fait quand même 30 ans que l’Américain fait parler sa science aux quatre coins du globe, et on attendait forcément autre chose de son premier mix commercial qu’un truc de ‘selecta’ érudit qui aurait davantage eu sa place dans une émission de radio hostée par Gilles Peterson que sur un CD destiné à des écoutes répétées.