DJ Kicks
Booka Shade
Le patriotisme a parfois du bon. Le label !K7 en sait quelque chose en se louant les bons et loyaux services d’un duo immanquable au cœur de l’Allemagne électronique. En effet car après le dernier effort de Hot Chip, il y avait fort à faire pour Booka Shade afin de maintenir la barre aussi haut dans le cadre de la série de compilations DJ Kicks. Un choix qui paraît en définitive assez logique à bien regarder le parcours de Walter Merziger et Arno Kammermeier : cofondateurs de l’inévitable écurie Get Physical, auteurs de deux albums remarquables (Memento et le récent Movements) et producteurs de la plupart des sorties provenant de leur label, rien de moins.
A l’heure d’aborder cette chronique me vient l’idée de vous parler premièrement et essentiellement de la cohérence exceptionnelle qui anime cette sélection. Et pourtant, à en voir la tracklist, rien ne semblait vouloir concilier ces vingt-trois titres de manière sensée. Un véritable travail d’équilibriste qui prend pour point d’ancrage une dimension mélodique de haut niveau, une sensibilité loin de toute sensiblerie. En habitué des compositions 4/4 chaudes et sensuelles, le duo échelonne ses titres pour créer un magma enivrant par sa beauté et passionnant par sa témérité, toujours en bonne position pour surprendre son auditeur en bout de piste.
Cette cohérence-là passe nécessairement par un mélange savant des genres. Et il faut bien leur reconnaître un indéniable talent pour sauter d’un univers à un autre sans jamais faire violence aucune à une progression hautement addictive. Evoquer cette sélection en terme de rencontre, voilà qui rend bien compte de cette entreprise audacieuse, sorte de grande discussion à voix haute entre des personnalités qui n’ont à première vue rien à se dire. Triste préjugé. Car qui aurait pu imaginer un jour voir se côtoyer la poésie déchirée d’Aphex Twin et le grime mélancolique de The Streets, le disco digital de Cerrone et la pop futuriste de Brigitte Bardot, le son wave (« Geisha Boys and Temple Girls ») et le groove assassin de Detroit avec Carl Craig et Matthew Dear. C’est précisément toute cette audace qui fait de ce DJ Kicks un disque fantasque qui mérite toutes ces louanges.
Après tout, l’illustration ornant le disque a déjà raconté tout ce qui vient de se dire ici : une tache d’encre lâchée dans une eau cristalline qui évolue en formes mutantes, en permanente distorsion, avec au centre de cette imbroglio musical deux chefs d’orchestre assurément sereins, sûrs de leur art. Booka Shade a annoncé vouloir réaliser quelque chose de durable, loin de toutes frasques déviantes, c’est en tous points réussi .Pourtant, écouter cette troublante compilation mixée revient comme une douce évidence, à croire que le paradoxe a vite changé de bord.