JPEG
Digitalism
Oui. Vous avez bien lu. Digitalism a sorti un disque fin 2019, et tout le monde ne s’en fout pas. Au contraire : on aurait pu profiter de cette sortie pour tacler en règle un duo que tout le monde dit dépassé et dont une sortie d’album frôle l’anachronisme. Mais pour tout vous dire, c’est un discours auquel on n’adhère pas trop, et pour pleins de raisons qu’on va vous énoncer, JPEG a tout d’un non-événement qui fait du bien à l’horizon musical des années 2020.
Pour les très jeunes qui nous lisent, Digitalism est un duo allemand formé dans les années 2000 et qui a connu son apogée commercial, artistique et critique en 2006 et 2007, avec la sortie d’Idealism. L’album était un magnifique exemple de ce que produisait l’électro-pop de l’époque, et la tournée qui allait avec avait marqué pas mal de monde. À l’époque où le rock était encore un truc démocratisé et où celles et ceux qui ne squattaient pas les lieux cools des grandes villes découvraient qu’on pouvait passer un concert à regarder un type derrière des machines, Digitalism venait faire une jonction très importante entre le clubbing, les sphères pop-rock et un certain héritage du post-punk. Cette jonction, elle avait évidemment un sens puisqu’en réalité Digitalism ne faisait que retisser le fil originel de la techno, mais c’est dans la démocratisation monstrueuse de la French Touch et des années Ed Banger que la mayonnaise prenait méchamment.
Et puis les années ont passé, et la French Touch a disparu des radars, emmenant avec elle Digitalism et le second degré de Calvin Harris. Aujourd’hui, presque quinze piges après Idealism, Jens Moelle et Ismail Tuefekci reviennent avec JPEG, un disque censé les raccrocher à une certaine actualité de la musique électronique. Ils expliquent même ouvertement que la prise de conscience que la recette devait changer a bien eu lieu.
Pourtant, à la première écoute, on n'a vraiment aucun mal à reconnaître le groupe, à tel point qu’on se demande s’il y a véritablement eu changement dans les inspirations ou les moyens de production. Ce qui n’est pas nécessairement un problème. Car si Digitalism fait du Digitalism, on aurait tout de même du mal à dire que le groupe table sur la nostalgie d’une époque à peine terminée. Le propos est le même, mais il a été dûment adapté à son époque. Dans un titre comme « Wish I Was There » par exemple, le triumvirat kick-synthé-voix reprend en théorie tous les éléments des anciens disques, mais tout sonne irrémédiablement plus actuel.
En réalité, la force du disque, en ce début de décennie, c’est de n’avoir pas cherché à forcer cette actualité. Si certains titres comme « No Data » ou « Chrome.exe » sont très marqués au niveau de la guitare ou des synthétiseurs, le reste est juste extrêmement agréable. Et puis il faut tout de même s’interroger sur les raisons qui nous poussent à craindre les redites de style chez un groupe qui n’a rien sorti de sérieux depuis un moment. On ne demande pas à Slipknot ou aux Queens of the Stone Age de changer de son, on a même plutôt tendance à leur reprocher de lâcher l’énergie des débuts ; alors pourquoi demander à Digitalism d’abandonner l’identité que le groupe de Hambourg s’était construite il y a une dizaine d’années ? Ça, le duo en a bien conscience, puisqu’il joue avec nos attentes sur cette question. Il faut dire qu’on entend de la référence sur JPEG. Que ce soit dans le featuring avec Louisahhh, « DISC_404 », ou sur « Olympia », le gigantesque clin d’oeil fait aux Daft Punk, c’est celui que Digitalism nous fait en nous rappelant que le groupe phare de la french touch a bien changé sa recette, mais que tout le monde en est relativement déçu.
Et puis à la fin, sorry not sorry, on a envie de dire que cette electro-pop fonctionne toujours aussi bien. Si elle était monnaie courante à l’époque, il faut quand même rappeler qu’aujourd’hui, c’est un style qui a profondément disparu, et que la techno et les selectors roulent sur les musiques électroniques, si bien que le truc le plus proche d’un son qui cherche à marier des musiques populaires vaguement teintées de romantisme et les machines, c’est Molécule.
À l’ère d’une jeunesse qui est quasi intégralement branchée sur le rap et la chanson, JPEG fait du bien à la diversité de notre écoute. Mature et complet, le disque nous fait vraiment faire le tour d’un propriétaire qu’on avait oublié, mais pour des raisons qu’on ne se remémore pas vraiment. Alors on aurait envie d’écrire qu’en musique, il n’y a pas de « mauvais chemins », qu’il n’y a que des routes mainstream et d’autres qui le sont moins, que certaines cherchent à jouer le jeu de la nouveauté, et que d’autres pensent qu’il y a encore du travail créatif pour des recettes plus anciennes. Mais la nostalgie est un sentiment bien fourbe, et il se pourrait qu’on soit simplement en train de justifier notre incompréhension face à ceux qui ne ressentent rien et sont bien incapables de s’enjailler en écoutant le dernier Digitalism. Du coup, à celles et ceux-là, on a simplement envie de dire : tant pis pour vous. Et comme ils l’écrivent si bien eux-mêmes : « The story of Digitalism is about the things that change, and the things that don’t. »