Diamond Eyes
Deftones
Que reste-t-il de nos amours nu-metal? Pas grand chose, c'est certain. Et c'est peut-être mieux comme ça. Cependant, au beau milieu des KoRn et autres Limp Bizkit, il y en quelques uns qui sont parvenus à tirer leur épingle du jeu, comprenant assez vite le caractère éphémère du mouvement et la nécessité de se renouveler sous peine de sombrer dans l'oubli ou le ridicule. Et c'est certain, ce club exclusif de groupes un brin plus perspicaces que la moyenne a pour président les Deftones. En effet, après avoir surfé sur la vague nu-metal à la fin des années 90 avec Adrenaline et (surtout) Around The Fur, le crew de Sacramento a sorti en 2000 son œuvre maîtresse, sur laquelle il s'éloignait de la brutalité pure et dure du genre pour la confronter à une palette d'émotions plus variée. Ce disque indispensable s'appelle White Pony et n'a pas pris la moindre une ride depuis. Son problème, c'est qu'il a de facto condamné les Deftones à faire toujours moins bien, comme en témoignaient l'honorable album éponyme de 2003 et l'ennuyeux Saturday Night Wrist de 2006. Et ce nouveau Diamond Eyes ne fait pas exception à la règle.
Ce retour aux affaires est d'autant plus surprenant que Chino Moreno, Abe Cunningham, Stephen Carpenter et Frank Delgado doivent composer sans leur bassiste Chi Cheng, plongé dans le coma depuis novembre 2008 suite à un grave accident de voiture. A cette époque, le groupe travaillait sur Eros, un album qu'il décrivait comme peu orthodoxe et centré sur les atmosphères sonores – peut-être dans la veine de ce que Chino Moreno fait au sein de son projet electronica/shoegaze Team Sleep? Mais vu les circonstances, les Deftones ont tout laissé tomber pour se rendre au chevet de leur collègue, décidant finalement d'abandonner purement et simplement les sessions de travail.
Enregistré sous la houlette de Nick Raskulinecz (connu pour son travail avec les Foo Fighters) et avec Sergio Vega (des légendaires Quicksand) à la basse, Diamond Eyes laisse apparaître un groupe qui a encore de beaux restes et quelques riffs pachydermiques dans sa besace. Une remise en question n'est évidemment pas à l'ordre du jour, et Chino Moreno et les siens se bornent ici à appliquer sur Diamond Eyes la recette qui a fait leur succès, enrobant leur métal lourd de discrètes nappes électro servies par un Franck Delgado toujours à son affaire et dont le rôle au sein des Deftones n'a fait que gagner en importance depuis ses premières apparitions timides sur Around The Fur. Certes, sur une moitié du disque, le groupe semble avoir négligé l'écriture des morceaux pour ne se concentrer que sur la puissance du résultat final, et c'est probablement là le gros point faible de Diamond Eyes. Car c'est quand les Deftones optent pour une meilleure répartition des forces en présence et ne se bornent pas à se reposer sur les hurlements de Chino Moreno ou les riffs de Stephen Carpenter qu'ils séduisent en flattant la fibre nostalgique du fan de base.
Mais on le sait, en 2010, il n'y a plus de place pour les "demi-albums" et ce Diamond Eyes ne devrait ravir que les fans les plus indécrottables des Américains, trop aveuglés par leur amour du groupe pour lui trouver des défauts. Les autres, plus modérés et réalistes, seront en mesure de faire la part des choses et arriver au constat qui suit: en concert, bien calés entre des classiques indémodables comme "Be Quiet (And Drive Far Away)", "Change (In The House of Flies)" ou "Seven Words", des morceaux comme "You've Seen The Butcher", "Sextape" ou "Rocket Skates" devraient faire leur petit effet et trouver leur place dans le genre de sets best of qu'a l'habitude de nous livrer le groupe depuis quelques années.