Desire, I Want To Turn Into You
Caroline Polachek
Lorsque l'on cherche à illustrer le poncif de « reine sans couronne » dans la pop, le nom de Caroline Polachek sort invariablement des chapeaux. Et pour cause : malgré ses millions d'auditeurs et auditrices mensuel·le·s sur Spotify et le succès commercial de son Pang sorti il y a quatre ans, celle que certains surnomment la « Kate Bush 2.0 » (quelle horreur) semble rester à jamais cantonnée à ce statut de « chanteuse préférée de ta chanteuse préférée », là où elle semble pourtant tout réunir pour rencontrer le succès planétaire d'une Dua Lipa.
Après plusieurs années marquées par une grande discrétion médiatique (on peut tout de même relever sa participation notable au très bon Crash de Charli XCX), la popstar en devenir annonce sur ses réseaux en pleine pandémie qu'elle travaille sur un album très personnel dont elle est particulièrement fière. Les fans voient alors en ce future disque la clé qui permettra au monde entier de prendre conscience du talent singulier de leur idole. L'attente est immense. La surprise sera monumentale. À des lieues de toutes nos projections, Caroline Polachek parvient à se démunir presque intégralement de la mélancolie de ses disques passés pour donner vie à un album solaire, lumineux et on ne peut plus sincère.
La chanteuse s'étant toujours présentée comme une "mélomane curieuse", il ne paraît pas étonnant que l'album le plus « à son image » de sa discographie mêle brillamment un très grand nombre de genres et d'influences relativement éloignées, mélange donnant naissance à un son unique, singulier, un son Polachek. Parce que oui, si on doit reconnaître quelque chose à ce disque, c'est bien sa palette musicale gigantesque et phénoménale. Le mélange des genres est sublimé, le disque réunit pop alternative, EDM, hip-hop, R&B, disco, musique africaine, flamenco, et on en passe. Sur "Crude Drawing of an Angel" on a l'impression d'entendre Grace Slick des Jefferson Airplane chanter une version alternative de "White Rabbit" sur une prod de The Chainsmokers. Oui, on en est là. Tout est magnifiquement étrange et paraît évident une fois le mélange opéré. Cette brillante association est permise par le talent de Danny L. Harle (l'homme au visage inquiétant portant le bébé en arrière-plan de la pochette, oui oui), l'ex-PC Music devenu porte-étendard d'une nouvelle pop qui n'a pas froid aux yeux.
Si Pang était un bon disque sans grande prise de risque, Desire, I Want To Turn Into You s'avère être une fresque monumentale unissant l'intégralité des influences musicales de l'artiste de manière cohérente et harmonieuse. Même si le disque ne permet pas encore à Polachek d'accéder à la notoriété mondiale que ses fans lui souhaitent, il nous aura au moins permis de réaliser qu'il est encore possible de pondre des disques electropop parfaitement produits en 2023. Et cela vaut bien plus que la notoriété de Dua Lipa.