Dept. Of Disappearance
Jason Lytle
Depuis la retraite volontaire de The Trembling Blue Stars l'année dernière, on est un peu en manque de pop éthérée. Heureusement pour nous, le maître à penser de feu Grandaddy est de retour. Grandaddy, c'est ce groupe de la fin des années 1990 et du début des années 2000 qui a sorti quatre albums d'indie pop spatiale dont les sommets The Sophtware Slump (2000) et son mésestimé mais très recommandable successeur Sumday (2003). Après l'actualité chargée qu'a eu le groupe en 2012 (reformation pour une série de concerts dont un passage à Rock En Seine, réédition augmentée de The Sophtware Slump), on aurait presque peur que le public passe à côté de la sortie de ce Dept. Of Disappearance, et ça serait bien dommage parce que de tous les événements précédemment cités, ce dernier est sans aucun doute le plus marquant musicalement.
En donnant une suite à un premier album solo qui s'éloignait des fondamentaux originels de son groupe (le déjà très réussi Yours Truly, the Commuter en 2009) Jason Lytle maintient son rythme de croisière : toute discographie confondue, l'artiste a laissé s'écouler trois années entre chaque album (1997, 2000, 2003 et 2006 pour les albums de Grandaddy puis 2009 et enfin 2012 pour les solos). Et avec ce nouvel opus, l'Américain revient à l'essence de ce qui a fait son succès en groupe. Dès les premières mesures du morceau-titre qui ouvre l'album, on retrouve ainsi tous les éléments qui font la marque des albums du quintet de Modesto : guitares en sourdine, arrangements électroniques délicats et la voix bien sûr, cette voix un peu nasillarde, un peu fatiguée, la voix d'un vieil oncle qui nous berçait jadis et se rappelle à notre bon souvenir.
La similitude avec le passé est encore plus frappante sur des pistes comme "Matterhorn" ou "Hangtown", perles pop mélancoliques qui rappellent le meilleur du glorieux The Sophtware Slump. On pourrait regretter ce parti pris un peu passéiste, mais il n'en est rien car il colle parfaitement à l'ambiance que veut nous transmettre son auteur. Pris dans son ensemble, Dept. Of Disappearance est en effet un disque de saison, fait pour les longues soirées d'automne et de début d'hiver, un album de feuilles qui tombent et de feux de cheminées, un de ceux auprès duquel il fait bon se réchauffer seul ou avec ceux que l'on aime ("Somewhere There's a Someone"), un album pour les balades en montages sous la neige ("Last Problem of The Alps"). Fidèle à son habitude, Lytle n'oublie pas de glisser une interlude un peu barrée avec ce "Chopin Drives Truck To The Dump" qui convoque une batterie bancale sur un extrait d'une nocturne de Chopin. On en redemande.
La fin du disque rompt un peu avec le style Grandaddy originel et va taquiner de nouveaux horizons musicaux : ainsi l'amusante mélodie introduisant "Your Final Setting Sun" semblant sortir tout droit d'un vieux Final Fantasy embraie sur le morceau le plus rythmé du disque, rompant avec la tonalité feutrée de l'ensemble. Enfin, le magnifique "Gimme Click Gimme Grid", conclusion en apesanteur alternant sonorités new wave, piano et guitares tout en langueur, clôt la galette de manière magistrale sur plus de 8 minutes. Presque aussi beau qu'un "He's Simple, He's Dumb, He's The Pilot" (mais pas tout à fait quand même).
Au final on se rend compte rapidement que Dept. Of Disappearance est un disque de Grandaddy sans le nom du groupe sur la pochette, et c'est tant mieux parce qu'il convoque le meilleur de ce qui faisait la beauté des œuvres du groupe, parvenant même par moment à tutoyer les sommets de The Sophtware Slump. Un album flottant, dans lequel on prend plaisir à se laisser dériver.