Dependent and Happy
Ricardo Villalobos
Cela va peut-être vous paraître bizarre, mais on ne saurait introduire ce papier autrement qu’en citant l’excellent chronique de Pitchfork à propos du nouveau LP de Ricardo Villalobos : « The music he makes is loose, chaotic, and highly detailed, but the overall effect of it is like watching traffic: In the end, nothing really happens. »
Cette assertion est d’une pertinence rare à en juger le tournant qu’a pris la carrière du Chilien sur ses trois dernières plaques. Fizheuer Zieheuer, sa participation à la série des compilations Fabric et enfin son excellent disque collaboratif avec Max Loderbauer ont poussé l’œuvre de Ricardo Villalobos encore un peu plus loin dans le psychédélisme sonore, dans l’imagerie intellectuelle et chiadée des pulsions house. Une sorte de paradoxe à hauteur de la scène qu’il occupe : plus le temps avance, plus le producteur devient imposant, cannibale et intriguant. Mais surtout, plus le temps passe, plus ce mec devient seul. Seul dans sa tête, seul dans sa musique, Ricardo Villalobos est devenu quelque-chose qu’on partage moins, qu’on s’accapare comme un vieil ami un peu bizarre. Et donc forcément génial.
Cette solitude-là est conceptuelle (le mec vendra toujours ses disques à la bétonneuse), fout son géniteur à l’écart et se conçoit dans l’isolement progressif des contours de son art. Ricardo Villalobos joue le dos tourné à son public, et cette posture le rend phénoménal. Non pas pour la pose stricte, mais pour l’indépendance qu’il y a gagné. Cette véritable mise sur orbite a mis en avant son art de la mise en boîte.
Si on s’est toujours voulu prudent avec les termes intelligent/génial/dieu, on revient toujours sur son art démesuré de la composition, son obsession pour la frontière entre et le dynamisme et la stagnation, l’organique et le synthétique. Il n’a jamais été question de frotter l’auditeur dans le sens du poil, et comme d’habitude, ici les pulsations grattent l’oreille plus qu’elles ne les couvent.
Etrange pièce que ce Dependent and Happy, montage de titres en sélection mixée (l’édition 5 LP deviendra vite un impératif, vous verrez) et perle house insondable. Une œuvre de synthèse, surtout. Si son impossibilité àcomposer un kick régulier a toujours fait partie du modus operandi du bestiau, ici on atteint une sorte de climax parfait entre les pulsions du corps et le mindfucking intello. Un dynamisme mathématique qui relie les deux grandes périodes de sa carrière : l’époque Alcachofa, heureuse de son hédonisme puritain et de ses gaudrioles organiques, et la période appuyée par les derniers disques, marquée essentiellement par un enfoncement dans le traitement quasiment électro-acoustique sur la matière.
Au milieu de ce bordel, il y a la came. Cet accélérateur de particules. Ricardo Villalobos, sa came et ses emmerdes. Ou quand le mode de vie marche en sens contraire, que tout se dynamite, recule, avance, se détruit et se reconstruit. L’interdit comme langage commun, l’amour de la transgression, sociale comme musicale. Pour l’amour du risque, toujours. Une plaque de synthèse pour l’instantané d’un mec qui conçoit sans cesse le mouvement, qui gère les flux, dont le cerveau grillé a trois temps d’avance sur un corps qui en a deux de retard.
Dans un rêve récent, je prenais de la drogue et j’étais le pote de Villalobos, c’était vachement cool.