Demon
Envelopes
S'il est bien un reproche que je peux formuler à l'immense majorité des groupes de rock belges et français désireux de se faire une place au soleil, c'est bien leur frilosité. Qu'il est dommage de voir bon nombre d'entre eux se fixer des ambitions dépassant rarement les frontières du pays d'origine, comme si la reconnaissance à l'étranger semblait une chose tellement improbable qu'il est mieux de passer directement à l'échelon inférieur, synonyme de consécration à l'échelle régionale voire nationale dans le meilleur des cas. Qu'il est dommage de ne pas les voir mus par cette confiance en soi teintée de crânerie qui sied si bien aux groupes d'outre-Manche et d'outre-Atlantique. Mais si Français et Belges aiment un peu trop se complaire dans le succès version miniature, il n'en va pas de même pour certains de nos voisins du Nord. En effet, on savait déjà nos amis suédois capables de rivaliser sans peine avec le meilleur de la pop ou de l'americana. A présent, il faudra ajouter le rock alternatif dans sa version "haut du panier" au pedigree du pays.
D'ailleurs, cette situation, Audrey Pic, Française de son état, l'a parfaitement comprise en se réfugiant chez les Suédois de Envelopes. Car si ce groupe éminemment recommandable a donné son premier concert à Paris sous le nom de The Nicotines, il a entre temps eu la riche idée d'émigrer pour Londres histoire de se frotter à une scène tellement bouillonnante qu'elle génère un nécessaire phénomène de (saine?) émulation. La preuve: absolument rien à jeter sur ce premier album. Faussement brouillons, les onze titres de Demon flairent bon les années 90 et sont autant de clin d'oeils jubilatoires à ce que l'Amérique a produit de plus jouissif en matière de rock indépendant ces quinze dernières années. Il y tout d'abord ces deux voix approximatives (celles d'Audrey Pic et de Henrik Orrling) qui, en solo ou à l'unisson, évoquent immanquablement la nonchalance d'un Stephen Malkmus. On pourra également parler de ces morceaux imparables de power pop à rendre verts de jalousie les New Pornographers ou les Rentals. Foutraque à souhait comme un disque de Architecture in Helsinki à certains moments, abrasif comme un disque des Pixies à d'autres, Demon se révèle vite être un cauchemar éveillé pour tous les détracteurs du "name-dropping".
Mais c'est justement là que Envelopes se démarque de ses cousins français ou belges: les influences sont aussi évidentes et prévisibles qu'une référence à Bloc Party ou Franz Ferdinand dans une chronique de la dernière coqueluche du NME, mais après les avoir ingurgitées en vitesse, il en ressort un rock espiègle et régressif qui n'a cesse de transcender lesdites influences pour créer un objet séduisant qui n'aura pas peur de venir défier Américains et Anglais sur leur propre terrain. Un exemple à suivre.