Delta Machine
Depeche Mode
Quand on parle de Depeche Mode, on parle d’un groupe à part, on parle de dévotion, et le champ lexical tournera plus que jamais à la chose religieuse. Autant pour décrire les thèmes chers au groupe depuis sa reprise en main par Martin Gore que pour parler de la relation unique qui l’unit à ses fans. Pour ceux qui en douteraient, assister à un concert de DM est et reste toujours même plus de trente ans après les débuts du groupe une expérience quasi liturgique.
Alors bien sûr les thèmes tels que la chute, le salut, la rédemption, la mort, le pardon, le pêché prennent une coloration et une résonance particulière avec cette histoire longue et chargée, autant du point de vue du groupe que des individus qui le composent. Et sans jouer au vieux con aigri qui a connu toutes les guerres, ces mots-là résonnent dans les bouches de Dave Gahan et Martin Gore avec une profondeur que n’atteignent et ne peuvent atteindre 90 % des chanteurs qui les emploient. Comme on ne peut pas demander à un Beaujolais de Super U de vous raconter la même chose qu’un Château Margaux 1990. Et puis la revanche qu’a d’abord pris le groupe sur tous ceux qui le vilipendaient et l’avaient un peu trop rapidement fourré dans le même sac que tous ces groupes de néo-romantiques pour jeunes pisseuses acnéiques, puis sur ceux qui ne donnaient plus cher de sa peau au milieu des années 90 après le départ de Wilder et la chute libre de Gahan et Gore dans les abysses de la drogue et de l’alcool, ces revanches-là se savourent aujourd’hui pour le fan et qui plus est pour le groupe on l’imagine, avec le goût de ces batailles gagnées contre le bon sens et toutes les évidences. Quelque chose qui n’a pas de prix. Un plaisir que le groupe ne se prive pas de célébrer notamment en faisant appel à la crème des musiques électroniques auxquels il fait toujours appel lors d’une nouvelle sortie. Une scène électronique qui elle ne s’y est jamais trompé et a toujours été fidèle et consciente de l’importance de cette formation depuis ses débuts.
Avec le regain créatif et le retour de la reconnaissance critique entamé avec Ultra, DM a su se ressourcer et prendre autant de libertés que peut se le permettre un groupe qui n’a plus rien à prouver mais a toujours la foi. Même si Sounds Of The Universe paraissait sous certains aspects inégal, on restait encore sur la lancée de l’excellent Playing The Angel qui lui, avait fait l’unanimité. Delta Machine apparait en ce sens comme un parfait croisement entre ces deux albums à la fois esthétiquement et qualitativement parlant : le côté sombre, noir et crasseux de ce dernier et les rythmiques et saillies nettement plus synthétiques du premier. Le groupe a beaucoup fait référence à au blues, à la soul, à Violator et Songs Of Faith And Devotion pour décrire en conférences de presse son petit dernier. On retrouve effectivement certains éléments de ces deux albums mythiques dans les guitares de Gore (« Slow », « Goodbye »), les inflexions de voix de Gahan (« Angel ») mais aussi dans l’art de la rythmique et du groove rampant en mid-tempo imparable (« Should Be Higher »). On note également et comme toujours un travail sur les textures impressionnant, notamment dans la diversité de sons synthétiques triturés, bidouillés à l’extrême, le groupe étant passé depuis longtemps maître en matière d’architectures sonores bâties à partir de dissonances et de sons hétéroclites. L’alliage entre froideur des machines (car ici les synthés sont est très froids, voire métalliques) et les guitares de Gore apporte un de ces suppléments d’âme et de chaleur sur lesquels Gahan vient apposer ce qui reste encore aujourd’hui une des plus belles voix que la musique populaire moderne connaisse, tous genres confondus. On sera d’ailleurs assez étonnés de voir ce bon vieux Dave tenter quelques petites prises de risques (« Angel » et « Sould Be Higher » en tête), comme quoi même à 50 balais bien cramés, il y en a qui en ont rien à battre de l’autotune.
Une chose bizarre toutefois sur cet album qui choque dès la première écoute : le tracklisting. Mis à part l’introductif « Welcome To My World » et le final « Goodbye », qui remplissent on ne peut plus à propos leur rôle, quelque chose ne va pas dans cet agencement, et en particulier dans les premiers titres. Le single « Heaven » en particulier arrive un peu comme un cheveu sur la soupe après le blues survitaminé de « Angel ». L’enchaînement semble un peu contre nature et laisse assez perplexe. D’autant qu’on sent comme un redémarrage de l’album vers son dernier quart après une mi-temps plus introspective. C’est curieux mais cela donne en tous cas envie de se replonger rapidement dedans afin de voir si on n’a pas loupé un épisode. Et surtout, surtout de retourner à la messe voire les pères Gahan, Gore et Fletcher nous dire le bénédicité, mais ça on vous en reparlera bientôt…