Dear Companion

Ben Sollee & Daniel Martin Moore

Sub Pop – 2010
par Jeff, le 5 mars 2010
7

En matière de folk propret et bien dégagé derrière les oreilles, le constat est relativement simple: exception faite d'un petit groupe d'artistes qui règnent sans partage sur la catégorie (Iron & Wine, Bon Iver, Will Oldham et quelques autres), le milieu est composé d'une foultitude de gens non dénués de talent tentant tant bien que mal de se faire une place au soleil. Doués sans être pour autant pétris de talent, ils peuplent nos discographies mais font tout sauf l'unanimité. Il faut dire qu'en termes de qualité, on est ici confrontés à des dizaines de disques qui se valent, et forcément, la part de subjectivité et d'affectif qui entrent en ligne de compte à l'heure de désigner ses chouchous est énorme. Prenez le cas de Daniel Martin Moore: il suffit d'écouter son précédent album pour Sub Pop, Stray Age, pour comprendre que le bonhomme est plutôt doué pour accoucher de douces mélopées qui évoquent en quelques accords à peine le grand Nick Drake. Mais aussi agréables et délicates ces courbettes devant le King of Folk puissent-elles être, elles sont loin d'avoir permis au natif du Kentucky d'émerger.

Aussi, exception faite des fans du bonhomme, il y a fort à parier pour que la sortie de cet album enregistré en compagnie de Ben Sollee, lui aussi originaire du Kentucky, et produit par Yim Yames (aka Jim James aka le bibendum chevelu qui fait des merveilles au sein de My Morning Jacket) n'ait pas fait énormément de vagues. Pourtant, en plus ds évidentes qualités du disque sur lesquelles nous allons revenir, Dear Companion gagne à être connu pour le simple fait qu'il défend une noble cause, celle de la lutte contre le « mountaintop removal », une forme d'exploitation minière à ciel ouvert qui n'a pas son pareil pour saloper le paysage et bousiller faune et flore des montagnes des Appalaches. Outre ces louables et bonnes intentions, le disque se révèle également être une occasion rêvée pour les deux musiciens de reconnecter avec leur habitat originel et de mettre en musique le quotidien dans l'un de ces états d'Amérique dont l'Européen lambda n'a pour ainsi dire rien à branler. Sur le folk traditionnel de Daniel Martin Moore viennent ainsi se greffer les talents de violoncelliste et de guitariste de Ben Sollee qui rajoute à l'ensemble une couche supplémentaire de tons sépia, tandis que Yim Yames se charge d'empêcher le disque de dégager la moindre dose d'agressivité.

On en revient alors à l'argumentaire qui ouvrait cette chronique: qualifier Dear Companion de mauvais disque relèverait de la mauvaise foi crasse. Celui-ci respecte bien le cahier des charges: ça flaire l'Amérique profonde à tous les étages et le binôme Daniel Martin Moore / Ben Sollee enfile non sans une certaine élégance les petits bijoux folk louvoyant entre ballades minimalistes et titres magnifiquement arrangés. De là à dire que ce Dear Companion est un indispensable du genre, il y a quand même une certaine marge. Espérons simplement qu'il trouve son public, et que celui-ci ne se limitera pas à une bande de folkeux mal rasés. Même si on en doute quand même un tout petit peu...