De Doden Hebben Het Goed III
Wiegedood
Quand la maison-mère Church of Ra lâche la bride de ses poulains, ce n’est certainement pas pour enfanter des produits dérivés de queue de rayon. A cet égard, analogie pourrait d’ailleurs être établie entre le collectif polymorphe flamand et les Diables Rouges: un ensemble d’individualités connues et reconnues pour leurs qualités et à qui pas grand monde ne peut résister une fois qu’ils jouent en équipe. Lorsque nous lui avions posé la question à la sortie de Mass VI, Colin Van Eeckhout n’avait laissé planer aucun doute: Amenra s’en tiendra toujours à la même ligne, dure et radicale, chacun disposant de l’espace nécessaire pour mener ses propres expérimentations dans de multiples side projects - Oathbreaker, Wiegedood, Syndrome, CHVE, Hessian.
La symétrie des parcours de Oathbreaker et Wiegedood est à cet égard saisissante: en trois albums, les deux groupes qui comptent le même noyau de membres, se sont d’abord affranchi d’une pesante filiation, ont ensuite tâtonné pour se construire une identité propre, avant de casser la baraque sur un troisième disque au son singulier, qui impose autoritairement un respect unanime auprès de leurs pairs. Le résultat n’appelle aucune contestation possible: en moins de 24 mois, la même écurie hisse aux sommets de la hiérarchie mondiale du metal trois albums qui feront date (Rheia, Mass VI et maintenant De Doden Hebben Het Goed III), sous trois franchises différentes. Avec un pédigrée pareil, la bande mériterait une chaire honoris causa dans n’importe quelle haute école de management pour enseigner aux futurs cadres en boutons de manchettes les ficelles d’un business plan bien torché.
C’est donc bien Wiegedood qui s’occupe ce mois-ci d’à nouveau élever le niveau en proposant le dernier volet de sa trilogie baptisée De Doden Hebben Het Goed III. Le trio, composé de Wim Coppers (Oathbreaker, Supergenius, ex-Rise & Fall) à la batterie, Gilles Demolder (Oathbreaker, Hessian) et Levy Seynaeve (Amenra, Hessian) à la guitare, a cette fois-ci pu bénéficier des gros moyens mis à disposition par le label Century Media et par conséquent, d’une production à la hauteur de leurs ambitions.
Plus vindicatif même si moins atmosphérique que ses prédécesseurs, De Doden Hebben Het Goed III est un album intense bénéficiant d’une atmosphère obscure et dont la construction des pistes ne semble jamais totalement figée. A la fois complexe mais suffisamment accessible aux néophytes du black metal, chaque morceau nous plonge dans un enchevêtrement de riffs tranchants et de furieuses déflagrations rythmiques dont il est difficile de ne pas savourer la maîtrise absolue. A l’image du morceau d’ouverture « Prowl » et de cette voix d’un autre monde qui accompagne l’auditeur dans une descente abyssale tel un tableau de Jérôme Bosch, tout semble ici recouvert d’un voile occultant même si le trio laisse passer la lumière lors de très rares accalmies, comme sur l’énorme « Doodskalm » qui propose autant de brusques virages mélodiques que d'atmosphères tumultueuses.
Wiegedood semble avoir franchi un cap et fait preuve ici d’une nouvelle maturité artistique et d’un rendu sonore titanesque comme en témoigne l’impressionnant morceau-titre ou la conclusion « Parool ». On se retrouve confronté durant ces 34 minutes à un mur de guitares et de blast beats, soutenu par un chant écorché qui rend chaque instant de cet album violent mais jubilatoire. Si le premier épisode de cette trilogie débutée en 2015 apparaissait comme un exercice de style, ce dernier volet relève plutôt d’une vraie démonstration de force, prouvant avec inventivité et caractère que Wiegedood manie les codes du genre pour les déformer et en proposer un rendu totalement personnel. Il serait d’ailleurs dommage d’en rester uniquement sur ce formidable tryptique tant les trois musiciens viennent d’écrire l’une des plus belles pages du black metal belge et semblent encore avoir de nombreuses choses à offrir.