DAYTONA
Pusha T
Au moment où ces lignes ont été écrites, on attendait que le Ye de Kanye West débarque en fanfare sur les plateformes de streaming. Une attente immense, à la démesure de son géniteur. Immense en ce sens qu'elle doit inévitablement apporter de l'eau au moulin de ses fans comme de ses détracteurs - d'autant plus nombreux qu'entre ses récents titres complètement bidons et ses twitter rants à la con, le gars n'a pas vraiment arrangé sa situation.
"We miss the old Kanye" avait-on envie de dire il y a encore quelques semaines. Oui, il nous manquait terriblement cet être d'une mégalomanie pathologique, dont l'évocation trop fréquente d'un soi-disant génie a irrémédiablement atomisé l'égo. Un artiste qu'on aime (détester) parce qu'il agit désormais sans le moindre filtre, laissant apparaître ses failles, son talent et sa connerie à l'état le plus brut. Avec lui, tout vient du fond des tripes, est à prendre ou à laisser le jour J, car demain est un autre jour, et donc la l'éventualité d'avoir une dizaine de nouvelles idées à concrétiser - on se rappelle tous du work in progress qu'a été The Life Of Pablo. Mais à la créativité débordante qui avait marqué la précédente Yeezy Season, Kanye West semble avoir voulu opposer un condensé d'idées, puisque tous les projets sur lesquels il sera impliqué dans les semaines qui viennent compteront tous sept titres.
Pour ballon d'essai, on a droit au DAYTONA de Pusha T, sa pochette glauquissime à 85.000 dollars et ses paroles à l'origine d'un des meilleurs rap feud de ces 5 dernières années. Le disque de celui qui est censé être le patron de G.O.O.D. Music, mais qui est un peu à l'entreprise qu'il dirige ce que Dimitri Medvedev est à la Russie poutinienne: une jolie marionnette. Et une marionnette en laquelle on était sur le point d'arrêter de croire avant que ne sorte King Push – Darkest Before Dawn: The Prelude, immense mise en bouche dont on ne sait trop si elle devait préparer au King Push promis depuis des plombes ou à ce DAYTONA.
Si tous les albums de Pusha T avaient surtout pour vocation de mettre en avant son ineffable personnage de dealer de drogue fan du catcheur Ric Flair, jamais un disque de l'ex-Clipse ne lui a moins ressemblé, phagocyté qu'il est par le génie de Kanye West. Aussi emmerdant puisse être ce dernier qualificatif, il convient de reconnaître que DAYTONA en est éclaboussé du début à la fin. Disque sur lequel on n'observe pas une nouvelle mue d'un producteur qui se sait "too complex for Complex" ("What Would Meek Do?"), DAYTONA voit Kanye West laisser juste assez de place à Pusha T pour qu'existe ce flow vicieux comme une clé de bras de Sergio Ramos, un flow qui est autant à l'aise pour s'accaparer les projecteurs que faire joujou dans les interstices. Mais aussi impérial puisse être Pusha T, c'est vraiment Yeezy qui est aux commandes du disque, s'amusant à voir Pusha T briller sur des productions qui alternent entre saillies rachitiques ("If You Know You Know"), sampling malin ("Come Back Baby" qui nous a fait découvrir George Jackson) et gospels multiculturels ("Santeria" et ce hook intestable de 070 Shake) comme lui seul sait en faire.
Ceux qui me connaissent savent que mon admiration pour Kanye West n'a d'égal que l'aveuglement et le manque de discernement dont tout fan hardcore peut parfois faire preuve à son égard. Pourtant, difficile de ne pas voir ici le genre de réponse tellement puissante à ses détracteurs qu'elle en viendrait presque à nous faire oublier que le mec admire Donald Trump et que sa femme rencontre ce dernier dans le bureau ovale pour y commuer des peines de prison. On a dit presque.