Dark Was The Night
Various Artists
Si l'on distingue classiquement deux types de disques – les bons et les mauvais, la dichotomie en matière de compilations est généralement encore plus simple, puisque, traditionnellement, on oscille entre le médiocre et le pathétique. Il faut dire que l'exercice consistant à recueillir sur un seul et même album des œuvres venant d'artistes divers et n'ayant souvent au mieux qu'un lointain rapport les uns avec les autres confine la plupart du temps à la gageure. Heureusement, il existe des exceptions à cette règle, en particulier certaines bandes originales de films (Juno, Garden State) et les compilations à caractère caritatif. A ce titre, on citera pour l'exemple l'excellente et indispensable compilation Help : A Day in the Life, sortie en 2005, qui réussit l'exploit de réunir la fine fleur du rock britannique (Elbow, Radiohead, Coldplay, Keane, etc.) pour un résultat épatant. Depuis cette date, les chroniques de compilations, en tout cas en matière de rock, ont rarement consacré des projets d'envergure et intéressants.
Cette période de disette touche à sa fin puisque ce sont deux compilations de qualité qui ont vu le jour ces derniers temps, à savoir l'album War Child Heroes, d'une part, et Dark Was The Night, qui nous occupe ici, d'autre part. Ce double album composé exclusivement de titres originaux (outre quelques reprises) devrait faire date dans l'histoire des compilations à but caritatif. Produit par Aaron et Bryce Dessner de The National et placée sous les auspices de l'association Red Hot Organization, il entre dans le cadre, évidemment louable, de la lutte contre le sida. Pour une fois, votre argent servira à financer des projets d'une importance capitale, notamment en matière de prévention, et vous permettra de vous procurer une compilation qui affiche une liste absolument impressionnante de talents issus de la scène indépendante anglo-saxonne, parmi lesquels Feist, Bon Iver, Antony, Cat Power, Stuart Murdoch, etc.
Evidemment, sur 31 titres au compteur, tous ne présentent pas un niveau de qualité démentiel, malgré la réputation, souvent flatteuse, de leurs auteurs respectifs. L'on pense en particulier au "Lenin" de The Arcade Fire, qui semble apporter de l'eau au moulin de ceux qui estiment que le groupe ne fait que décevoir depuis l'extraordinaire Funeral sorti en 2004, ou encore à la reprise inutile de "Cello Song" de Nick Drake par The Books. Il est vrai que ces titres ne sont pas franchement inoubliables et l'on préfèrera donc s'appesantir sur la poignée de merveilles apportées par Grizzly Bear (magnifique "Deep Blue Sea", dans la veine du In Ear Park de Department of Eagles – et pour cause), Feist & Ben Gibbard (très jolie "Train Song"), The National (superbe morceau pop "So Far Around the Bend"), My Brightest Diamond (reprise très réussie de "Feeling Good" de Nina Simone, déjà remise au goût du jour par Muse en 2001) et surtout The Decemberists, avec "Sleepless", une véritable pépite d'un lyrisme rare qui pourrait bien figurer au panthéon des meilleures œuvres du groupe.
De manière générale, cette compilation se révèle être d'une excellente tenue et, bien plus, ses coordinateurs ont eu l'ambition tout à fait remarquable de ne pas se limiter à empiler les morceaux, aussi excellents soient-ils (citons encore "El Caporal" de My Morning Jacket ou "Die" d'Iron & Wine), mais également à jouer avec l'auditeur, en particulier grâce à deux titres qui se répondent : l'incroyable "You are the Blood" de Sufjan Stevens, une époustouflante épopée de plus de dix minutes sur le premier disque, et "Blood Pt. 2" de Buck 65 sur le second. Ce genre d'attention vous donne une indication du niveau d'exigence des frères Dessner et de la qualité de cette compilation impeccable, qui pourrait, si vous le voulez bien, trôner dans votre discothèque de la même manière qu'elle se positionne tout en haut des initiatives musicales intelligentes, passionnantes et, surtout, utiles.