Culture III
Migos
L’influence du rap sur la pop culture américaine est indéniable, immense. Et cette mainmise sur les temps de cerveau, elle la doit notamment à Culture. En effet, le disque sorti en 2017, porté par l’inoxydable « Bad and Boujee », avait tout balayé sur son passage et cimenté pour de bon la place de la trap dans la culture mainstream. Avec ces flows parfaitement cadencés (derrière des apparences très paresseuses), des ad-libs délirantes et un bling-bling outrancier, les Migos étaient parvenus à façonner leur propre univers, et nombreux·se sont celles et ceux qui ont tenté de les copier depuis, sans jamais arriver à la cheville des trois crapules d’Atlanta. Après un Culture II en demi-teinte et des albums solo obligatoires mais franchement pas mémorables, il était temps pour Quavo, Takeoff et Offset de boucler leur trilogie par un feu d’artifice à leur image - donc dans une démesure digne des meilleurs épisodes de MTV Cribs.
Culture III s’ouvre sur « Avalanche » et son sample de « Papa Was A Rollin’ Stone ». Immédiatement, on remarque que l’alchimie entre les trois MC est toujours totale. Chacun trouve naturellement sa place sur la production léchée de DJ Durel, sans jamais empiéter sur le terrain de jeu de l’autre. Fort heureusement, tout au long du disque, il en sera de même pour les performances des habituels invités (Drake, Future, Cardi B, Pop Smoke, Juice WRLD) qui vont s’avérer dispensables, sans pour autant être handicapantes - les plus fragiles d'entre nous pourront même s'émoustiller devant un refrain de Justin Bieber. Car, en réalité, les Migos n’ont besoin de personne pour briller, comme le démontre parfaitement « Modern Day », un énorme banger qui tape très fort grâce au travail impeccable de Murda Beatz. Instinctivement, à l’écoute de Culture III, on se tournera d’abord vers ces pistes plus agressives, comme « Roadrunner », « Straightening » et donc « Modern Day ». Pour autant, un des morceaux les plus marquants du projet reste « Time For Me », sur lequel le trio se remémore ses interminables journées dans les trap houses d’Atlanta, bien avant la gloire et la fortune. Sur des synthés étouffants, et grâce à un flow légèrement autotuné, Quavo délivre le meilleur hook du disque, un refrain authentique et spontané, à des années-lumière de ses pitreries habituelles. Un moment sincère et poignant, qui marque une césure bienvenue dans un disque qui se veut avant tout festif, explosif et surtout bien mongolo. Car les Migos restent avant tout des crapules misogynes, dont le lexique se limite principalement aux trois piliers de la trap: « pussy, money, drugs ».
« Qui est donc le meilleur des Migos ? » À chaque nouveau projet, la question déchire les fans. Certains voteront pour la fougue de Takeoff, d’autres pour le charisme naturel d’Offset ou encore pour le flow calibré de Quavo. Ce qui est certain, surtout au vu de leurs récentes escapades solitaires, c’est que les trois sbires ne sont jamais aussi redoutables que quand ils s’enferment ensemble en studio. Avec Culture III, les Migos délivrent exactement ce qu’on attendait d’eux : des bangers grassouillets qui poussent le curseur du turn-up dans le rouge – et entre « Straightening », « Avalanche », « Modern Day », « Jane », « Vaccine » et « Roadrunner » il y a de quoi battre des records sur les plateformes, le nouvel objectif de tout bon musicien qui se respecte. Alors bien évidemment, l’album est beaucoup trop long, et des morceaux comme « Handle My Business », ou « Why Not » sont parfaitement dispensables. Néanmoins, à l'échelle d'un rap de 2021 qui n'a franchement que peu de choses à foutre du format album tel qu'on l'envisageait encore il y a 10 ans, Culture III est une vraie réussite. En grands fans de basket, les Migos voulaient leur three-peat, pour faire d'eux les équivalent en hip hop des Celtics de Bill Russell, des Bulls de Michael Jordan et des Lakers de Shaquille O’Neal. Et on peut le dire aujourd'hui : ce ne fut pas toujours simple, ce fut même parfois un peu laborieux, mais ils l'ont eu.